C'est un document dense – treize pages – au parfum de nouveauté ! Face à la faiblesse des actions entreprises à l'Université en matière de prévention des liens d'intérêts, les conférences nationales des doyens des facultés de médecine et d'odontologie ont rédigé une charte éthique et déontologique. Enjeu : formaliser et harmoniser les pratiques et préserver aux maximum la formation des influences commerciales.
« C'est une première dans l’histoire des facultés, assure au « Quotidien » le Pr Jean-Luc Dubois-Randé, patron de la conférence des doyens de médecine (Paris-Est Créteil). La charte couvre un spectre large sur la déontologie, les liens d'intérêts et la fraude scientifique ».
Adoptée la semaine dernière, cette charte (qui devra être approuvée par le conseil de gestion de chaque fac), est le fruit d'une concertation de dix mois avec les étudiants et les internes. Ce document intervient après une enquête édifiante du collectif Formindep qui épinglait – sous forme de classement – les facultés françaises : seulement neuf UFR de médecine sur 37 avaient pris des résolutions pour préserver l'indépendance de leur formation.
La charte éthique a été aussitôt saluée par les carabins de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), les internes de médecine générale (ISNAR-IMG) et l'association Formindep. « Le problème a été pris à bras-le-corps par les doyens et une réponse a été donnée rapidement, se félicite Paul Scheffer, auteur de l'enquête critique publiée en janvier 2016 et administrateur de l'association. La charte dresse l'essentiel et va même plus loin avec le chapitre sur l'intégrité scientifique ».
Communiquer ses liens avant les cours
Les liens d'intérêts des membres des instances de gouvernance devront être visibles sur les sites internet des UFR de médecine. Surtout, les enseignants sont appelés à la transparence systématique auprès des étudiants dès qu'ils passeront la porte d'un amphi, avant les cours. « Ce n'était pas entré dans les mœurs : les enseignants vont déclarer leurs liens, c'est une nécessité qui permettra de recréer la confiance avec les étudiants », explique au « Quotidien », Emylie Lentzner, vice-présidente de l'ANEMF, en charge de la santé globale.
Les facultés s'engagent à instaurer des enseignements d'éthique et de déontologie à chaque cycle d'études, une requête des carabins. Au menu : l'intégrité scientifique (prévention du plagiat, du vol de données), gestion des conflits d'intérêts, pratiques d'influence, etc. Cette formation sera renouvelée au cours du troisième cycle et pour les jeunes enseignants (CCA, AHU). « L'étudiant doit avoir les armes pour analyser les discours et avoir le choix d'accueillir ou pas un représentant de l'industrie », résume Marion Bouty, porte-parole de l'InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG).
S'il est stipulé que les représentants marketing des industriels « ne seront pas autorisés à rencontrer les personnels universitaires dans les zones de soins ou en présence d'étudiants » – sauf dérogations –, cette interdiction n'est pas étendue à l'ensemble du campus (stands ou événements), regrette l'association Formindep.
Plusieurs points sensibles sont abordés par la charte. Les « cadeaux » financés par l'industrie ? Ils ne sont pas autorisés « même de faible valeur » car « susceptibles d'influencer les décisions des prescripteurs ». Les produits de santé cités dans le cadre des enseignements ? Ils doivent l'être en DCI sans faire mention des noms commerciaux. Quant aux articles scientifiques, plus question de faire appel à des « auteurs dits fantômes » – dont le nom est omis volontairement.
Opposable
Chaque faculté s'engage à nommer en son sein une commission de déontologie composée de représentants d'étudiants, de patients, du CHU, de l'Ordre, du président de CME, d'un enseignant non titulaire et d'un membre extérieur de la fac. Ils devront examiner tous les sujets relatifs à l'éthique et l'intégrité scientifique et professionnelle.
Surtout, la charte est opposable à tous les acteurs au sein des facultés « quel que soit leur grade, statut ou niveau hiérarchique ». En cas de violation, les facultés s'engagent à alerter les autorités de tutelle et les Ordres professionnels.« Les étudiants pourront faire entendre leur voix auprès de ces commissions, poursuit Emylie Lentzner (ANEMF). Avant, ils ne savaient pas à qui s'adresser et craignaient des représailles. De même que le droit de réserve lors d'une activité (en situation d'influence) n'était pas clairement énoncé ».
Les enseignants accepteront-ils ces nouvelles règles ? Au nom des doyens, le Pr Dubois-Randé se veut très confiant. « Il n'y aura pas d'autres choix ». La charte sera votée dans toutes les facultés pour une application dès la fin de cette année ou début 2018. Et si une faculté refuse ? Là encore, « c'est inenvisageable au vu de la pression sociétale et des étudiants ». Côté « juniors », les syndicats veulent croire eux aussi que la charte ne tombera pas « dans le piège des grandes déclarations non suivies d'action ».
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