« Un chef a dégrafé le soutien-gorge d’une amie au bloc », « un médecin de stage m’a proposé de faire un moulage de ma poitrine pour décorer son bureau ». En mars 2021, l’Association nationale des étudiants en médecine (Anemf) jetait un pavé dans la mare en publiant des dizaines de témoignages accablants d’externes en stage. Une libération de la parole qui va probablement de pair avec le changement de regard des carabins d'aujourd'hui sur la pratique des fresques. Après avoir sondé plus de 4 500 étudiants en médecine, l’association révélait que la moitié des étudiantes avaient été victimes de remarques sexistes et 38 % de harcèlement sexuel à l'hôpital. Dans 90 % des cas, ces agissements provenaient d'un supérieur hiérarchique.
Malaise
Depuis plusieurs années, des voix s'élèvent dans les rangs des juniors pour pointer du doigt un humour de salles de garde parfois catalyseur du sexisme. « Dès le début de nos études, nous sommes plongés dans un univers qui banalise la culture du viol, c’est épuisant », atteste Clara, interne en radiologie. Pendant plusieurs mois, la jeune femme a mangé tous les midis devant une fresque « représentant d’anciens chefs de service avec des sexes proéminents ». Ces peintures « me mettent très mal à l'aise et je ne suis pas la seule », raconte encore Clara, qui accueille avec soulagement l’instruction ministérielle.
« Les violences sexuelles et sexistes sont exacerbées dans le milieu médical, l’une des raisons est peut-être la culture carabine », avance Louise Wetterwald, chargée de mission sur la lutte contre les discriminations à l’intersyndicale nationale représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). La jeune femme était présente début février à Lyon, devant près d’un millier de carabins, pour tenter d'expliquer ce sujet complexe, parfois source de crispations chez les juniors, avec l’aide de Myriam Dergham, future généraliste et doctorante en sociologie. « On me rétorque souvent que l’esprit carabin n’est que de l’humour, raconte Myriam Dergham. Mais la vraie question c’est : de qui se moque-t-on ? En quoi des blagues discriminatoires permettent-elles de se décharger de la violence du monde médical ? Se moquer des noirs ou des femmes n’a rien de subversif, ça fait des siècles que ça existe ». L'interne, elle, est convaincue de l’intérêt de la pédagogie dans le domaine.
Rupture générationnelle
Libération de la parole, reconnaissance des discriminations : les mentalités évoluent dans les rangs des carabins. Désormais, « les internes sont de moins en moins attachés aux fresques », atteste Olivia Fraigneau, présidente de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). La future urgentiste voit même dans ces tensions autour des fresques « un sujet de rupture générationnelle, ce sont presque nos chefs qui les défendent le plus ».
Suite à l'instruction de la DGOS, l’Isni appelle donc à ce que toutes les fresques démontables soient « exposées dans des lieux où seuls ceux qui le souhaitent pourront les voir ». Mais pour Olivia Fraigneau, l’urgence reste avant tout la rénovation des internats insalubres : « mon objectif, c’est que tous les internes s'y sentent bien, ça doit passer par la suppression de la pornographie, mais aussi par celle des rats et des moisissures ». Le syndicat sera donc intransigeant sur la rénovation des fresques. « Elle devra être obligatoirement assortie d'une rénovation de l’internat », martèle la présidente de l’Isni.
Les traditions se perdent
Pour autant, le retrait brutal des fresques a du mal à passer chez certains juniors, attachés à l’esprit de corps des salles de garde. C’est le cas de Pierre, interne dans un CHU du sud de la France. « Je ne comprends pas la décision de la DGOS, ce n’est une priorité pour personne », insiste l’interne pour qui la note ministérielle « sonne comme une sorte de vengeance à demi-mot contre les internes qui se battent pour leur temps de travail ».
S’il dit comprendre que le sujet divise, « les fresques relèvent du patrimoine historique, les recouvrir de peinture blanche me paraît inconscient », s'insurge-t-il. De façon générale, l’interne regrette que les traditions carabines tombent peu à peu dans l'oubli. « L’internat est un lieu de décompression, de débrief après une journée difficile, rappelle-t-il. Désormais, les internes mangent entre eux, utilisent leurs téléphones et l’esprit de corps devient de plus en plus difficile à forger ».
Remise au goût du jour
Si les fresques polarisent les avis, les internes s’accordent pour préserver cette tradition en l’adaptant à la société d’aujourd’hui. « Les internats ne doivent pas être aseptisés », recadre Olivia Fraigneau. « On peut imaginer des dessins humoristiques qui représentent le monde médical, je ne suis pas contre les fresques mais contre les scènes obscènes et misogynes qui rabaissent les femmes », abonde Clara, l’interne en radiologie.
Des remises au goût du jour sont déjà en cours, comme à l’hôpital parisien Lariboisière, où la salle de garde est désormais ornée d’une fresque représentant la bataille des médecins contre le Covid. « Splendide ! », commente Olivia Fraigneau. Il y a un an, dans la capitale toujours, le Syndicat des internes parisiens (SIHP) s’était d’ailleurs engagé – « suite aux différentes vagues de dénonciation des violences sexistes et sexuelles » – à recouvrir les fresques pornographiques des hôpitaux franciliens pour les remplacer par des peintures « conformes à la loi et aux aspirations de la société comme des carabins ». Des concours de dessins devront donc être lancés. Une manière pour les carabins, aussi, de « sauver les salles de garde ».
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