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Dossier

Exercice professionnel

L’exercice mixte : un grand pouvoir de séduction mais des conquêtes limitées

Par Amandine Le Blanc - Publié le 04/10/2021
L’exercice mixte : un grand pouvoir de séduction mais des conquêtes limitées


GARO/ PHANIE

L’exercice mixte semble avoir les faveurs du moment. Les pouvoirs publics misent sur son développement et les jeunes médecins apparaissent prêts à le plébisciter. Toutefois, sur le terrain, son expansion reste limitée, par certains freins mais aussi la confrontation avec un principe de réalité.

Dans son grand projet santé pour le quinquennat « Ma Santé 2022 », pour décloisonner la médecine de ville libérale, l’hôpital et le médico-social, le gouvernement disait vouloir miser notamment sur le développement de l’exercice mixte ville/hôpital. L’objectif affiché est aussi de permettre une diversification des parcours des professionnels de santé. Deux ans plus tard, lors des conclusions du Ségur de la santé, la mesure 8 du premier pilier pour « transformer les métiers » est la suivante : favoriser l’exercice mixte des médecins entre ville et hôpital.

L’exécutif y voit également une solution pour résoudre les problèmes géographiques d’accès aux soins. Dans le cadre de « Ma Santé 2022 » a ainsi été lancé le dispositif des « 400 médecins » dans les déserts, dont 200 à exercice partagé ville/hôpital. Et le Ségur de la santé prévoit une réforme de la prime d’exercice territorial qui permet de favoriser l’exercice ambulatoire des praticiens hospitaliers dans les zones sous-denses.

Un tiers des jeunes médecins se disent intéressés

Et ça tombe bien, le vœu de faire grandir l’exercice mixte semble s’accorder avec les aspirations des jeunes médecins. Si on entend exercice mixte selon la définition traditionnelle, c’est-à-dire un exercice en partie libéral, en partie salarié, l’étude du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) sur les déterminants à l’installation des jeunes médecins de 2019 montrait que 27 % d’entre eux envisageaient un exercice mixte.

Il en est de même dans l’enquête de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) de janvier 2020 sur l’impact du DES sur l’installation, 34 % des internes en dernière année et 29 % de ceux ayant juste achevé leur internat déclarant vouloir se tourner vers l’exercice mixte.

« Ça séduit pour plusieurs raisons. Cela permet de varier les pratiques, et les études ont montré qu’avoir plusieurs activités diminuait le risque d’épuisement professionnel. Souvent, l’exercice est aussi plus pluriprofessionnel que lors de l’exercice libéral seul. Les échanges sont plus riches et cela donne aussi la possibilité de tester différents types d’exercice », explique le Dr Agathe Lechevalier, présidente du syndicat des remplaçants et jeunes généralistes ReAGJIR.

Enseignement, planning familial, PMI, crèche, régulation en centre 15, hôpital local, CeGIDD (centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic) ou même, maintenant, plateformes de téléconsultation…, les lieux qui ont besoin de généralistes en dehors des cabinets ne manquent pas et les occasions sont donc nombreuses de diversifier son activité.

Mais, dans les faits, même si l’exercice mixte a progressé en médecine générale, il reste très minoritaire. Selon les statistiques de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), en 2012, 4 780 médecins généralistes avaient un exercice mixte contre 8 365 au 1er janvier 2021 (sur 100 621 généralistes).

« C’est un modèle qui attire les jeunes généralistes mais ce n’est pas non plus la déferlante, confirme le Dr Lechevalier. Dans le dernier atlas de la démographie de l’Ordre, toutes spécialités confondues, il y a même plutôt une baisse des effectifs en exercice mixte. Au 1er janvier 2021, l’activité mixte baisse de 1,1 % par rapport à l’année précédente ».

Selon ce même atlas, en 2020, chez les généralistes, 7 % des hommes et 5,5 % des femmes étaient en exercice mixte. Quant à savoir si les jeunes médecins font augmenter ces statistiques, là encore, les chiffres ne semblent pas l’indiquer puisque l’étude sur les déterminants à l’installation de 2019 montrait que seulement 1 % des nouveaux inscrits à l’Ordre avaient un exercice mixte.

Certains freins peuvent expliquer les difficultés dans la pratique à avoir un exercice mixte. Les charges sociales d’une activité libérale ne permettent pas toujours d’avoir ce type d’exercice, particulièrement en début de carrière. D’autant plus que le calcul de certaines cotisations n’est pas proportionnel au revenu et pénalise ainsi les revenus libéraux faibles, comme l’explique Agathe ­Lechevalier : « par exemple, la cotisation à la caisse de retraite fonctionne avec des forfaits, donc, quelle que soit son activité, des sommes fixes sont appelées de toute façon ».

Un obstacle que confirme le Dr Sandra Henocq, généraliste francilienne qui, au début de sa carrière, a eu une activité mixte avec des remplacements en libéral et des consultations en centre de santé. « Avec certains forfaits, en gagnant peu, on paie énormément proportionnellement. Un tiers de mes revenus libéraux partaient en cotisations retraite. »

Mais le régime simplifié des professions médicales (RSPM), mis en place cette année pour les médecins remplaçants (qui gagnent moins de 19 000 euros d’honoraires dans l’année), devrait simplifier les choses pour les déclarations des revenus à l’Urssaf et le paiement des cotisations sociales.

Diversifier les activités plutôt que les exercices

Reste que jongler entre des régimes différents demeure compliqué. Sur la protection sociale notamment. « Il faut s’y retrouver entre les différentes protections. Par exemple, en cas de grossesse, il faut faire les deux types de démarches pour avoir les aides », souligne le Dr Lechevalier. « Les organismes eux-mêmes ne sont pas toujours très au courant, ajoute le Dr Henocq. Il est parfois compliqué de savoir, par exemple en cas d’arrêt de travail : sommes-nous pris en charge sur le régime salarié ou sur le régime indépendant ? »

Et quand on peut faire simple, pourquoi faire compliqué ? Car, au fond, ce que veulent surtout les jeunes médecins, c’est diversifier leur activité, peu importe le type d’exercice. « Il y a un avantage à travailler à différents endroits, à varier son exercice. Ce qui est enrichissant, c’est le fait de faire des choses différentes ; que ce soit en libéral ou pas, cela n’a pas tellement d’importance », confirme le Dr Henocq.

Et même si, à titre personnel, son projet professionnel était d’exercer en centre de santé et que l’exercice mixte n’était qu’une phase transitoire, jongler entre le libéral et le salariat était pour elle « plus compliqué » qu’autre chose. Or, à ce jeu-là, il est souvent plus facile d’avoir un exercice partagé exclusivement en salariat que l’inverse.

Faut-il donc y voir une mauvaise nouvelle de plus pour la médecine libérale, à laquelle les jeunes médecins ont déjà tendance à préférer le salariat ? Pas nécessairement. Car, si l’exercice mixte peut s’avérer toujours compliqué dans les faits, le développement de l’exercice regroupé en ville peut-être un facilitateur.

En effet, à l’image des trois généralistes qui témoignent (voir ci-dessous), l’organisation d’une MSP ou d’un cabinet de groupe est un élément clé pour rendre possible cette diversification de leur activité.