C’est désormais, une réalité si criante qu’elle est enfin admise : Paris se vide de ses médecins. Pendant longtemps, la puissance de l’offre pléthorique hospitalière a sans doute partiellement caché cette réalité, mais aujourd’hui les chiffres parlent d’eux-mêmes. La capitale comptait 2 595 médecins généralistes en 2012. En 2014, c’est une baisse de 3,5 % de leur nombre (2 504) qui est enregistrée par l’Assurance Maladie et une diminution de 23 % sur la période 2007-2014. Le Nord-Est de la capitale est particulièrement touché. L’on y comptabilise 6 médecins généralistes pour 10 000 habitants contre une moyenne de 9,5 pour 10 ?000 sur le reste du territoire. À titre d’exemple, les généralistes seraient 225 dans le XVe contre 131 dans le XVIIIe ou 67 dans le Xe. Le déséquilibre entre l’Est et l’Ouest de Paris est donc flagrant.
[[asset:image:5676 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["\u0022Les g\u00e9n\u00e9ralistes parisiens sont environ 1500. Ce chiffre est artificiellement augment\u00e9 par une quantit\u00e9 de praticiens aux exercices vari\u00e9s, qui ne font pas de soins primaires.\u0022 -"]}]]Ainsi, au fil des ans, c’est le système de soins de proximité de la capitale qui disparaît. « Une véritable injustice sur le plan social », fait remarquer le Dr Bernard Jomier, médecin généraliste dans le XIXe arrondissement et adjoint à la mairie de Paris chargé de la santé. Il préconise la présence de 2 000 médecins généralistes en exercice. Un objectif qu’on pourrait croire atteint si l’on se réfère aux chiffres de l’AssuranceMaladie. Mais, d’après le Dr Agnès Giannotti installée dans le XVIIIe arrondissement et déléguée sur la capitale du syndicat MG France, ces données seraient faussées. « En réalité, le nombre de médecins généralistes parisiens se situe autour de 1 500. Il est artificiellement augmenté par une quantité de praticiens aux exercices variés qui ne font pas ou peu de soins primaires : SOS Médecins, homéopathes, phlébologues, acupuncteurs et autres exercices particuliers. »
Il faut également compter avec la pyramide des âges des médecins et l’accroissement de la population. À Paris, la moyenne d’âge des omnipraticiens est de 58,3 ans chez les hommes et de 53 ans chez les femmes. 36 % des généralistes ont plus de 60 ans. Lors d’une conférence de presse, en octobre 2014, Anne Hidalgo, maire de Paris annonçait que d’après les projections à cinq ans « certains arrondissements de Paris pourraient perdre jusqu’à 50, voire 60 % de leurs généralistes en secteur 1 ».
Pénurie d’installations : les raisons
Inquiétant lorsque l’on sait que le nombre d’installations annuelles est proche de zéro. D’après le conseil départemental de l’Ordre, aucun médecin n’aurait vissé sa plaque à Paris en 2014. Pour expliquer cette absence d’installations malgré l’ouverture du numerus clausus, la première raison invoquée à Paris serait le coût du foncier, tant à l’achat qu’à la location. « Par rapport à la province, le coût de la pratique est supérieur à Paris », confirme le Dr José Clavero, président de l’antenne parisienne de l’UNOF et vice-président du syndicat des médecins de Paris. Ce spécialiste en médecine générale cite le prix du m² mais aussi le montant des charges du cabinet et la question de son accessibilité.
Trouver un local aux normes d’accueil des personnes handicapées dans un quartier attrayant et à tarif acceptable relève du parcours du combattant, reconnaît le Dr Richard Handschuh, généraliste dans le XXe. Pour ce médecin, la loi Accessibilité se surajoute au problème de pénurie de médecins dans la capitale. « La plupart des cabinets actuellement en service devront fermer car ils ne sont pas aux normes. S’ils bénéficient d’une dérogation, les repreneurs devront effectuer des travaux importants de mise en accessibilité. » Et aucun jeune médecin candidat à l’installation ne pourra assumer cette charge financière. Une loi qui risque d’aggraver le non-remplacement des départs en retraite…
[[asset:image:5681 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["\u0022Par rapport \u00e0 la province, le co\u00fbt de la pratique est sup\u00e9rieur \u00e0 Paris\u0022"]}]]Aux contraintes financières liées à l’immobilier se surajoutent d’autres éléments qui, au quotidien, rendent l’exercice parisien pénible. La circulation et les difficultés de parking en font partie. Dans certains quartiers, par exemple, le prix de l’horodateur s’élève à 1 euro du quart d’heure et le caducée délivré par l’Ordre ne suffit pas toujours à contourner la dépense. Nombreux sont les médecins qui doivent supporter les frais d’un policier malveillant. « Parfois, je tourne pendant 20 minutes avant de trouver une place pour me garer », explique le Dr Clavero. S’il est chanceux, il trouve et paie son parcmètre. Sinon, il sait qu’en fonction de la tolérance du policier, il sera verbalisé pour stationnement gênant. Et ces frais seront à sa charge. « En Angleterre, fait-il remarquer, il existe des places de parking réservées aux soignants. » Une bonne initiative dont Paris pourrait s’inspirer…
La crainte du libéral
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et de la charge de travail supposée, le Dr Clavero nous explique que les jeunes préfèrent un mode d’activité salarié. Ils sont également attirés par l’industrie pharmaceutique ou les laboratoires. Avis partagé par le Dr Jomier pour qui le coût du foncier n’est qu’un aspect du problème. Ce militant regrette que les bonnes dispositions n’aient pas été prises au bon moment en vue de simplifier l’exercice libéral et créer un maillage fin de soins de proximité.
[[asset:image:5686 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["\u0022Maintenant, nous sommes pr\u00eats \u00e0 nous associer avec n\u2019importe quel autre professionnel de sant\u00e9.\u0022"]}]]Un tissu que le Dr Anne-Marie Puel, installée dans le XIXe arrondissement fait tout pour conserver. Proche de la retraite, cette médecin généraliste cherche désespérément un remplaçant depuis plus d’un an. Devant l’absence totale de candidats à la reprise de son activité dans un cabinet de groupe, les autres professionnels (podologues, infirmières, kinés…) quittent le navire les uns après les autres, laissant à la charge de ceux qui restent les frais de gestion de la société. « Nous avons mis des annonces partout. Au départ, nous cherchions un généraliste pour me remplacer et proposer à mes patients un successeur. Maintenant, nous sommes prêts à nous associer avec n’importe quel autre professionnel de santé. Notre dernier espoir porte sur une jeune Roumaine qui reçoit 30 propositions d’installation par jour ! »
Le problème de remplacement qui se pose à ce cabinet de groupe installé dans des locaux du parc immobilier des HLM de Paris, n’est pas lié au prix du foncier. Mais bien au refus des jeunes de s’installer en libéral. Pourtant la structure correspond en tout point aux aspirations professionnelles des jeunes. Le Dr Sauveur Boukris, généraliste enseignant dans le XVIIIe, a son idée sur la question : « Dans l’esprit des jeunes coexistent beaucoup d’idées reçues et de préjugés sur l’installation en libéral ». Ce praticien explique que les jeunes sont désormais formés dans un esprit de groupe, souhaitent travailler de façon encadrée, en cabinet pluridisciplinaire, en centre de santé ou en structure hospitalière. « Ils veulent un salaire garanti et une sécurité dans le mode d’exercice. Leur état d’esprit n’est plus du tout dans la liberté d’installation. »
Simplifier l’exercice
Que faire alors pour retenir ceux qui n’ont pas encore dévissé leur plaque et attirer les jeunes à Paris ? Pour le Dr Clavero, la réponse est simple. Il s’agit avant tout d’arrêter d’assommer les médecins de contrôles, de limiter les contraintes et d’alléger leur travail. « Les délégués de l’Assurance Maladie se déplacent chez les médecins en leur montrant des tableaux, des moyennes alors qu’ils ne connaissent pas le type de patients que nous prenons en charge… Cela n’a pas de sens. » Certains comme le Dr Philippe Chambraud, généraliste dans le XIVe vont même plus loin et expliquent que les politiques n’ont pas pour objectif la poursuite de la médecine générale telle qu’elle est aujourd’hui : « La politique actuelle en matière de santé n’est ni humaine ni stratégique. C’est un projet d’énarques qui ne va pas dans le sens du développement des soins de proximité ».
Ce généraliste sait de quoi il parle, lui qui pendant plus de trois ans a travaillé d’arrache-pied, en plus de ses consultations, à la création d’un cabinet de groupe dans le XIVe arrondissement. Il se souvient de réunions interminables, d’heures de concertations avec les représentants politiques, de blocages administratifs qui, peu à peu, ont découragé les candidats à l’installation. « C’est aberrant, nous avons fait de la politique pour un projet de santé publique… », conclut agacé le Dr Chambraud grâce à qui ce cabinet finira tout de même par voir le jour.
Vers un C grande ville ?
Mais sera-t-il rentable ? À travers son Plan Paris Med’ (lire encadré), la Mairie de Paris annonce son projet d’aider les généralistes et autres professionnels de santé à s’installer. Le parc des bailleurs de la ville va être mis à leur disposition et la Mairie allouera une aide à l’installation de 15 000 euros par professionnel. Une initiative originale car, pour la première fois, la CPAM, l’ARS et la Ville abordent la question du coût de l’immobilier dans une grande agglomération. Cela suffira-t-il à créer des vocations ? Pas sûr, clament les intéressés. « La nomenclature nationale aurait dû être revue depuis des années pour soulever certains freins à l’installation des médecins à Paris », explique le Dr Jomier, l’un des principaux instigateurs du Plan Paris Med’Aide.
Le Dr Chambraud rappelle, quant à lui, que la France détient un triste record : le tarif de consultation le plus bas d’Europe. Ainsi, estime le Dr Handschuh, entre le prix du bâti et du personnel à Paris, s’il a une secrétaire, un médecin à plein-temps qui travaillerait cinq jours par semaine ne s’en sort pas. Et le Dr Clavero de citer en exemple la Belgique, où l’État aide financièrement les médecins à payer une secrétaire. D’après lui, plus les médecins seront soutenus, plus longtemps ils tiendront dans leur exercice parisien.
C’est donc au niveau du tarif de la consultation que le bât blesse. Ce généraliste rappelle avec ironie qu’il y a environ vingt ans, la consultation à Paris était supérieure à celle de la province. C’est encore le cas dans les DOM TOM où le forfait est calqué sur le coût de la vie. Ainsi, rappelons qu’en 2000, la visite à domicile justifiée était de 205 francs, soit environ 31 euros. En 15 ans, les médecins n’ont gagné qu’1 euro sur leur visite. Mais, pour le Dr Giannotti, la vraie question concerne la reconnaissance de la profession comme une spécialité. Coter CS + MPC = 25 euros comme les autres spécialités serait à Paris plus indispensable que jamais. À défaut prévoit-elle, les jeunes continueront de choisir des spécialités plus lucratives et moins contraignantes.
Le spectre des dépassements
Car dans la capitale, plus qu’ailleurs, l’argent est le nerf de la guerre. D’après les données publiques du site Ameli-direct.fr, 1 371 généralistes parisiens sont recensés en secteur I, 216 sont en honoraires avec dépassements maîtrisés (CAS) et 494 en honoraires libres (concentrés dans l’Ouest parisien et pour la plupart proches de la retraite). Enfin, 149 sont non conventionnés. Instauré en décembre 2012, le Contrat d’accès au soin avait pour objectif de limiter le secteur II. Cela dit, nous précise le Dr Giannotti, « la réalité des dépassements à Paris est la plus importante de France. Dans une certaine mesure, le Contrat d’Accès aux Soins les a légitimés et, globalement, les dépassements ont augmenté même si pour des raisons politiques les chiffres annoncés sont inversés. En effet, cela reconnaît implicitement la légitimité du doublement du
prix de la consultation, et nombreux sont ceux qui en ont profité pour augmenter leurs dépassements. »
Si rien n’est fait pour revaloriser la consultation, tous s’accordent à dire que déconventionnements et dépassements d’honoraires déjà massifs chez les spécialistes, pourraient progressivement se multiplier chez les généralistes de la capitale. « Mes dépassements d’honoraires s’élèvent à environ 20 euros par semaine, soit 0,06 % de dépassements, explique le Dr Handschuh. Mais je n’ai pas de secrétaire, je suis propriétaire de mon local et je fais le ménage. Le dépassement me choque car c’est de l’argent que l’on prend à ses patients. Mais à 23 euros il est impossible de s’en sortir. »
Dans certains quartiers de l’Ouest parisien le prix de la consultation serait en moyenne de 30 euros. Pas si choquant nous dit le Dr Clavero, car s’il y a un risque de perte du système solidaire pour les plus démunis, les Parisiens dans leur ensemble peuvent payer un peu plus de 23 euros. « Il y a des quartiers en difficulté, reconnaît-il, mais, dans l’ensemble, à Paris, les gens peuvent payer leur médecin 30 euros. Quand on voit le prix des consultations privées dans les hôpitaux… Ce n’est pas du vol ! Les avocats prennent dans les 200 euros de l’heure, nous 23… ».
Dont acte. L’Assurance Maladie ferme les yeux car les dépassements restent limités et ne compromettent pas encore l’accès des Parisiens aux généralistes. Mais, pour freiner le dérapage vers leur généralisation, le Dr Boukris souhaite que le libre choix du secteur (I ou II) soit laissé aux médecins généralistes. Il préconise, en outre, l’ouverture de plusieurs grands dispensaires dans différents arrondissements parisiens afin de laisser le choix aux patients, mais aussi aux médecins dans leur mode d’activité. À ses détracteurs opposés au secteur II il répond : « Quoiqu’il arrive, la médecine est déjà à trois vitesses : les patients qui consultent en secteur I, ceux qui consultent en secteur II et ceux qui n’ont pas les moyens de consulter ».
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