Une médecine plus précise et plus efficace, une meilleure santé, des soignants plus épanouis et une souveraineté française et européenne renforcée ! Telles sont les promesses ambitieuses d’une intelligence artificielle (IA) en santé bien comprise et bien utilisée, selon le think tank Économie santé, qui énonce plusieurs mesures pour bénéficier rapidement des avantages de cette révolution.
En effet, au-delà de l’analyse d’images, de l’anatomopathologie ou de la prévention personnalisée – où les résultats concrets sont déjà probants –, l’IA promet des réponses à la plupart des défis de notre système de santé : vieillissement de la population, maladies chroniques, pénurie de soignants, sécurité, pilotage des établissements et des urgences, inégalités sociales et territoriales, transition écologique et santé environnementale. Mais reste à maîtriser le potentiel colossal de l’IA, à gagner la confiance des acteurs (patients et soignants) et à fixer le cadre éthique de déploiement, plaide ce groupe de réflexion qui réunit une cinquantaine d’experts (médecins, industriels, responsables hospitaliers, institutionnels…).
Il manque encore une impulsion forte de l’État pour éviter l’éparpillement des initiatives
Dr Philippe Leduc, directeur du think tank Économie santé
« C’est notre recommandation qui a suscité le plus de débats et enregistré le plus grand nombre de contributions spécifiques de nos membres, témoigne le Dr Philippe Leduc, directeur du groupe de réflexion. Deux éléments me semblent importants à souligner. Premièrement, si les pouvoirs publics semblent avoir tiré les conséquences des erreurs commises sur le numérique en santé, il manque encore une impulsion forte de l’État pour éviter l’éparpillement des initiatives. Par ailleurs, l’intelligence artificielle pourrait être l’occasion de revisiter l’ensemble de notre système de santé dans l’optique de résoudre ses difficultés ».
Si le champ des possibles de l’IA médicale est « immense », le groupe de réflexion s’est attaché dans sa note à décrire les freins à cette révolution des algorithmes : l’accès aux données et leur protection, l’acceptation sociale de l’IA en santé, la désorganisation et la mauvaise qualité des data, le manque de personnel qualifié, l’opacité réglementaire sur les dispositifs…
Dans ce contexte, le think tank priorise cinq mesures en guise de feuille de route. Elles visent à « gagner la confiance » en démontrant l’utilité concrète de l’IA en santé et renforcer la sécurité ; « clarifier la gouvernance » ; financer le secteur de manière « importante et pérenne » ; former les soignants dans l’interdisciplinarité ; et créer un « observatoire indépendant » de l’IA et du numérique en santé.
Des codeurs familiarisés au monde de la santé
Piste la plus originale, la formation fait l’objet d’un développement spécifique avec, parmi les enjeux, celui de « renforcer les bases et de sensibiliser davantage tous les soignants » au numérique en santé, aux données de santé, à l’IA mais aussi – plus ambitieux – à une nouvelle vision de leur métier. « La formation des soignants, déjà hélas peu multidisciplinaire, doit élargir encore plus son éventail », peut-on lire. Dans l’autre sens, le rapport souligne l’importance de « familiariser le monde des mathématiciens, des ingénieurs, des spécialistes des algorithmes, des codeurs avec celui de la santé, dont les spécificités sont fortes ». Bref, il faut casser les silos entre le monde des algorithmes et celui de la médecine pour faciliter l’appropriation réciproque.
Côté formation toujours, une contribution spécifique des experts du rapport détaille les résultats d’une enquête* réalisée en janvier 2024 auprès des étudiants et enseignants du diplôme universitaire IA en santé de l’université de Bourgogne. L’étude – qui visait à cerner leur perception de la valeur de l’IA en santé – alerte justement sur le manque de formation (65 % des répondants) et la complexité de la réglementation (52 %). Le besoin de formation ciblée est considéré par les sondés comme un « prérequis » pour développer l’IA.
Esprit critique
La reco 2024 appelle plus particulièrement à un renforcement de « l’esprit critique » des blouses blanches. Il s’agit notamment de diffuser une méthode d’apprentissage pour acquérir la maîtrise de la gestion des outils d’IA afin de garder un contrôle « humain » dans tous les cas de figure. Cette formation à l’IA devrait faire l’objet d’une orientation prioritaire du développement professionnel continu (DPC) indemnisé, lit-on.
Une formation initiale et continue exigeante doit ainsi permettre de « challenger les résultats » obtenus par l’IA. Pas question non plus de se reposer trop sur les data et les algorithmes, au risque de réduire les connaissances médicales, alerte le think tank. Au contraire, la reco invite à un « retour aux fondamentaux et en particulier à la sémiologie, à l’enseignement de maîtrise des signes (interrogatoire, examen clinique et complémentaire) pour que le professionnel puisse justement poser la bonne question ». In fine, l’enjeu est la maîtrise d’un environnement plus compliqué avec de multiples outils et intervenants « sans oublier les patients qui auront, eux aussi, leurs outils d’IA pas forcément en ligne avec ceux des professionnels de santé ». Tout un programme !
* Par Pascale Gelin, Affaires Publiques et Relations Institutionnelles secteur de la Santé, en collaboration avec le Pr Patrick Callier, Laboratoire de génétique chromosomique et moléculaire, responsable du DU IA en santé, université de Bourgogne, et Barbara Mathian, cheffe de projet digital, université de Bourgogne.
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier