Faire entendre leurs voix sur la fin de vie, tout en se défendant de s’ériger en front uni : tel est le projet du livre Religions et fin de vie, les témoignages de grandes voix religieuses, publié sous la direction de Laëtitia Atlani-Duault chez Fayard.
« C’est la première fois que ce groupe, constitué depuis la pandémie de Covid-19, prend la parole médiatiquement. Les religions ont été sollicitées lors de l’élaboration du projet de loi sur la fin de vie, mais entendues de manière très minimale. Or comme tout citoyen, nous voulons participer à la vie démocratique, à un débat qui dépasserait l’opposition binaire pour ou contre l’aide active à mourir », précise l’anthropologue, vice-présidente Europe de l’Université Paris Cité. Ce d’autant que les religions constituent des univers symboliques et des corpus intellectuels importants aux yeux d’une partie de la société, et qu’elles portent une réflexion sur la vie et la mort, fait-elle valoir.
« Personne n’est enfermée dans une position dogmatique, insiste Laetitia Atlani-Duault devant la presse ce 23 janvier. Certes pour la majorité d’entre nous, le suicide assisté et l’euthanasie sont une transgression d’un interdit fondamental. Mais d’un autre côté, il est impératif d’écouter la souffrance extrême de ceux qui sont en fin de vie. »
Parmi les représentants des grandes religions, deux sont médecins : le Pr Denis Malvy, théologien et prêtre orthodoxe, et le Pr Sadek Beloucif, anesthésiste-réanimateur et président de l’association L’Islam au XXIe siècle. Tous deux, à leur manière, rejettent l’idée que l’aide active à mourir puisse être un soin. « Le suicide assisté équivaut à l’euthanasie. Même exceptionnellement, pour quelques cas, ces gestes ne sont pas un soin, mais bien la profanation de l’acte de soin, et cela représente un danger pour le patient, le proche, et l’ensemble de la société », considère le Pr Beloucif. Affirmant raisonner « en médecin religieux », pour qui les « actes s’évaluent par l’intention », la sédation profonde et terminale est déjà une réponse aux situations limites, considère-t-il. Transgressive, elle repose cependant sur l’intention de soulager, non de tuer. Et de mettre en garde contre l’hubris du soignant, qui serait doté d’une toute-puissance. « La santé procède de la confiance relationnelle, entre proches, et institutionnelle, plus verticale, dans les lois et le système de soin », précise-t-il.
Quelle place pour l’exception ?
Le Pr Denis Malvy, infectiologue (CHU de Bordeaux), s’interroge lui sur la pertinence et même la possibilité, pour le législateur, de réglementer, de s’emparer de « l’en deçà du trépas », que ce soit en matière de temporalité et d’espace. « Moi, soignant, je ne suis pas capable de donner une quotité de ce que peut être une survie à moyen terme, en mois, en semaine. C’est le temps de l’au revoir, parfois du réveil, voire de guérison inattendue ». Quant à l’espace, « il faut un virage domiciliaire pour finir sa vie, trépasser à domicile, dans un temps confiant », estime-t-il. « Hors de question que le domicile et l’entourage s’emparent du suicide assisté et de l’euthanasie ; et l’hôpital public a assez à gérer pour ne pas prendre en compte cette ambivalence », tranche-t-il. Certes, il y a des exceptions. Mais « elles ne doivent pas faire une somme qui crée une norme devant le législateur ».
La théologienne Véronique Margron, sœur dominicaine et présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, questionne elle aussi le sens de la volonté de légiférer. « Le risque serait ainsi d’aseptiser la conscience, d’écarter le dilemme au profit d’un règlement par la loi. Or la mort est trop grave, trop tragique, pour sortir d’un tel dilemme de conscience ».
Mais sa pensée ouvre d’autres portes. Elle ne ferme pas la possibilité d’une transgression intime de la loi, « pas n’importe comment, selon un protocole, dans le cadre d’un travail d’équipe, avec l’accord du proche », au sein d’une éthique de la détresse. Lorsque le choix n’est pas « entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire », écrit-elle en citant Paul Ricoeur. À condition aussi que cette éthique de la détresse soit « tendue, soutenue par une éthique de la promesse que l’autre ne sera pas abandonné ». « Si droit il y a, c’est alors pour offrir assurer et garantir un cadre délibératif strict et transparent qui peut conduire à des décisions extrêmes », écrit-elle. Alors seulement pourrait être préservée la dignité morale de notre société – l’existence de chacun en elle-même étant intrinsèquement digne, selon la théologienne.
Le pas de côté du protestant Clavairoly
Parmi les représentants des cultes, seul le pasteur et théologien protestant François Clavairoly prend une position nette en faveur d’un changement législatif, tout en reconnaissant avoir changé d’avis au cours des années. « L’éthique de la détresse autorise de manière exceptionnelle l’accompagnement dans la fin de vie, mais cela fait peser l’ensemble de la responsabilité sur les personnels soignants », critique-t-il. Et de proposer une « éthique hérétique », fondée sur le libre choix – si tant est que celui-ci fasse droit à la solidarité et à la bienveillance. « Ce champ des possibles ne doit pas être ouvert au nom de la seule autonomie d’un sujet indifférent aux autres, mais au nom d’une responsabilité, d’une solidarité bienveillante et en prudence », insiste-t-il.
La parole du pasteur reste isolée, alors qu’Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, Haïm Korsia, grand rabbin de France, ou encore Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, se prononcent résolument contre toute forme d’aide active à mourir, position partagée par les représentants du bouddhisme, même s’ils ne parlent pas d’interdit, notion étrangère à leur spiritualité.
Les opposants à l’aide active à mourir réaffirment par ailleurs leur engagement en faveur d’une séparation des textes législatifs, l’un (consensuel) portant sur les soins palliatifs, déjà objet d’une stratégie décennale à venir, l’autre sur l’aide active à mourir. « Nous sommes plusieurs à avoir entendu le président Emmanuel Macron évoquer deux lois début janvier », assure Haïm Korsia. L’Élysée avait démenti dès le lendemain. Signe de l’embarras présidentiel sur la révision de l’encadrement de la fin de vie, dont la présentation, initialement prévue avant l’été 2023, ne cesse d’être repoussée.
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