Dans la famille Alghadban, personne n’avait jamais envisagé faire médecine. C’est pour cela que Firas, petit dernier d’une large fratrie, n’y a pas échappé, a décidé son père, un « homme droit, amoureux de ses terres », comme le décrit son fils. Cette grande famille syrienne en possède dans le Rif Dimachq, tout autour de Surghaya, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. « Un de mes frères avait fait ingénieur, pour moi, ce serait médecine », explique Firas Alghadban que les habitants de Surghaya hèlent familièrement.
Si Firas Alghadban n’avait pas la fibre médicale lorsqu’il a commencé ses études à l’université de Damas, la guerre civile, qui débute en 2011, change sa perception. « J’aime aider les gens et la médecine est un vecteur fabuleux pour cela », témoigne-t-il. Comme beaucoup de villes de cette région agricole, située aux portes du Liban, Surghaya s’enflamme très tôt pour le Printemps arabe. Sur la grande place publique, le jeune généraliste manifeste même sans compter.
Dès 2012 toutefois, les 35 000 habitants de la ville sont assiégés par l’armée syrienne, restée fidèle au clan Assad. Dans la ville, Firas Alghadban est le seul médecin à soigner les combattants rebelles. « Beaucoup de mes amis sont morts dans mes bras faute d’équipement ad hoc ou de sang disponible. Il y a eu des moments où je n’avais même pas le temps de stériliser mes outils tant les patients affluaient », se remémore-t-il.
Lorsque Firas Alghadban se laisse aller aux confidences, d’incroyables histoires lui reviennent. « Il y avait ce patient avec une fracture de la mandibule. Ses maxillaires pendaient disloqués. Je ne connaissais rien à ce genre d’interventions. Mais c’était moi ou rien : il m’a fallu être créatif ». Le médecin cherche sur YouTube. Faute de fil chirurgical, il suture la mâchoire à l’aide de câbles industriels puis fait un trou entre les dents pour l’aspiration de liquides et d’aliments. « On était revenu à une chirurgie des guerres du XIXe siècle et encore ! ». Pendant 35 jours, le blessé, la mâchoire immobilisée, est gavé d’antidouleurs et d’antibiotiques. « À un moment, de la rouille est apparue aux jointures, mais quand j’ai coupé les fils, sa mâchoire tenait en place ». Le patient vit désormais en Allemagne, sans séquelles, assure-t-il. « Il m’a parlé il y a quelques jours », s’amuse le médecin face à l’incrédulité de son auditoire.
Réfugié sans un sou
Quand finalement les forces du régime reprennent le contrôle de la région en 2017, le médecin n’a pas le choix : il est recherché et doit fuir. Direction, le Liban. « Le Hezbollah libanais, allié de Bachar al-Assad, surveillait les routes d’accès. Il y avait des barrages ; des chiens pour détecter les clandestins… », élude-t-il. L’homme n’aime pas parler de ces années parmi « les plus difficiles de [s]a vie. Je n’avais plus rien ; je n’étais plus rien ».
Pour survivre, il ouvre une petite épicerie dans la banlieue de Beyrouth où il se terre faute de papiers officiels. Mais la médecine se rappelle à lui : une ONG cherche des volontaires pour soigner les réfugiés syriens des camps au Liban. Assez vite, un poste de médecin lui est offert.
Les conditions d’exercice se durcissent rapidement : le gouvernement libanais cherchant à restreindre l’accès à l’aide afin de forcer les Syriens à rentrer chez eux ; beaucoup d’ONG jettent l’éponge. Pas le Dr Firas Alghadban, qui fonde sa propre organisation médicale : Endless Medical Advantages (EMA). Enregistrée au Royaume-Uni, elle met en circulation des cliniques mobiles pour soigner enfants et adultes, Syriens, Palestiniens ou Libanais dans les zones les plus décentralisées. « Notre personnel a été formé à tout : petit bobo, vaccins, santé mentale… La polyvalence et une médecine de proximité sont la clef de notre engagement », dit-il.
Le retour en Syrie
Lorsque le régime tombe le 8 décembre 2024, l’homme n’attend pas pour rentrer chez lui. Son pays est à genoux : presque 500 000 Syriens sont morts au cours des 14 années de guerre civile, 150 000 autres ont disparu dans l’enfer carcéral de la dictature. La crise économique et les sanctions internationales, décidées en 2020, ont en outre accéléré la paupérisation de la population.
Indépendamment des budgets, des ONG locales comme la nôtre peuvent faire beaucoup. Elles connaissent le terrain et les besoins de la population
Conséquence : l’espérance de vie a reculé et des maladies qu’on croyait éradiquées comme le choléra sont réapparues. « Nous avons besoin de tout », lance le médecin. Pour l’heure, Firas Alghadban se concentre sur sa région, où il a déjà rapatrié l’une de ses cliniques mobiles qui circulaient au Liban. Il cherche en plus à aider les grands hôpitaux publics dont les infrastructures sont obsolètes et le personnel sans salaire depuis plusieurs mois faute d’argent dans les caisses de l’État. « Indépendamment des budgets, des ONG locales comme la nôtre peuvent faire beaucoup. Elles connaissent le terrain et les besoins de la population », observe-t-il.
En témoigne la réaction du patron du café où s’est déroulé l’entretien. Quand le médecin se lève pour partir, il refuse de le laisser payer. « Il nous a tous soignés quand le monde nous avait abandonnés, lui demander de l’argent serait indigne », souligne-t-il.
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