Une petite pluie perfide s’abat sur le Loiret ce samedi 10 février lorsque la délégation ministérielle se gare sur le parking de la maison de santé de Meung-sur-Loire. Des voitures noires s’extirpent Catherine Vautrin, Frédéric Valletoux et Fadila Khattabi. C’est la première sortie officielle du trio depuis la nomination de la première au Travail, à la Santé et aux Solidarités, du deuxième à la Santé et à la Prévention et de la troisième aux Personnes âgées et handicapées.
Après une visite au pas de charge de l’hôpital Lour-Picou de Beaugency, à 10 km de là, les trois ministres ont jeté leur dévolu sur cette maison de santé ouverte en 2013. Y exercent 21 professionnels de santé, dont sept généralistes. Un modèle du genre dans le Loiret. Pourtant, le moral n’est pas au beau fixe. Et Catherine Vautrin, qui dit être venue pour « écouter les professionnels de santé et entendre ce qu’ils ont à dire », est servie. Les « métiers de l’humain », comme elle aime à les appeler, ont le blues. Normalement fermée le samedi après-midi, la structure est ouverte pour l’occasion. Les soignants, en nombre, ont pris sur leur temps personnel. La préfète est là, les élus aussi. « Il y a autant de monde qu’au moment du Covid », souffle un maire, qui peine à circuler dans les couloirs bondés.
Secteur 3 à contrecœur
Dans ce territoire rongé par la pénurie de soignants, les médecins ne s’en sortent plus, malgré leurs conditions de travail que tous s’accordent à trouver de qualité dans cette structure. À Catherine Vautrin qui loue le « magnifique outil » qu’est la maison de santé, ils opposent un désarroi déstabilisant. Cette médecin remplaçante, généraliste depuis dix ans, annonce à la ministre son intention de s’installer « à contrecœur » en secteur 3 en septembre. Elle n’en peut plus, et ça s’entend. « Quelle est la vision des politiques de la médecine générale libérale ? », demande-t-elle à Catherine Vautrin. Visiblement agacée, la ministre, après lui avoir demandé si elle est syndiquée (la réponse est non), botte en touche.
Le métier tel que semble le concevoir le politique ne me convient pas. Je quitterais peut-être le navire avant la fin des négos
Dr Sarah Darriau, médecin libéral à la maison de santé de Meung-sur-Loire
La Dr Sarah Darriau, sceptique, assiste à la scène. « C’est bien que les ministres se déplacent chez nous mais les échanges sont restés superficiels, commente-t-elle après coup. Jamais nous ne sommes allés sur les sujets de fond. » Généraliste dans la maison de santé depuis l’ouverture, elle comprend la décision de sa consœur remplaçante. « Pessimiste sur l’avenir », elle aussi envisage de déplaquer. À 39 ans. « Bosser en libéral est devenu précaire, nous avons beaucoup perdu en pouvoir d’achat, explique-t-elle. Ici, nous avons une bonne équipe, on s’entend tous bien, mais le métier tel que semble le concevoir le politique ne me convient pas. Je quitterais peut-être le navire avant la fin des négos. » La Dr Darriau n’est pas syndiquée. Mais si elle l’était, elle rejoindrait l’UFML-S.
Mort à petit feu
À écouter le Dr Stéphane Chenuet, l’administration kafkaïenne tue le métier à petit feu. Sur le territoire, 25 généralistes travaillaient à temps plein. Quatre sont partis en 2023. « Le Loiret est un département très déficitaire, relate-t-il aux trois ministres. Quand l’ARS se décide à refaire le zonage, il n’est déjà plus adapté à la situation. Et tout est à recommencer. Ce décalage nous est défavorable car nous ne sommes pas en zone prioritaire alors que nous devrions bénéficier des aides à l’installation. » Catherine Vautrin, attentive, prend des notes. Et tente d’apaiser, sans grand succès. Le maire d’Huisseau, commune voisine sans médecin depuis l’année dernière, l’interpelle à son tour : « J’ai 4 000 patients impatients. Je fais comment ? »
Un autre généraliste enchérit : « Notre communauté professionnelle de territoire (CPST) veut ouvrir un centre de soins non programmés à Beaugency pour attirer plus de médecins. Mais l’Ordre s’y oppose, au principe que c’est un cabinet secondaire. Pour lancer un projet, tout est compliqué. Ce manque de flexibilité nous pèse. »
« Pas de sous plein les poches »
Répondre à la détresse des médecins est d’autant plus difficile pour Catherine Vautrin que la ministre le reconnaît devant les soignants : « Je suis à enveloppe constante, je n’ai pas de sous plein les poches. On ne va pas se mentir : on n’a pas beaucoup de moyens ». Mais au-delà de la revalorisation de la consultation, que les médecins attendent sans surprise, c’est aussi plus de souplesse statutaire qu’ils réclament aux pouvoirs publics.
« Il y a tellement de remplaçants en ville, c’est un vivier ! Pourquoi ne s’installent-ils pas ? Les politiques doivent y réfléchir.
Dr Valérie Aucante, médecin salarié à Beaugency
Le Dr Valérie Aucante, en a parlé directement à la ministre. La généraliste est salariée de la mairie de Paris (où elle vit), de la région Val-de-Loire et de l’hôpital de Chartres. Elle exerce à temps partiel au centre de santé de Beaugency depuis un an. « J’ai trouvé la ministre très à l’écoute des salariés de l’hôpital, un peu moins des autres. » Le Dr Aucante lui a parlé de la nécessité de faire des ponts entre les médecines salariée, hospitalière et de ville, de la nécessité, surtout, d’inventer des nouveaux contrats de travail avantageux et qui ne lèsent personne. « Il y a tellement de remplaçants en ville, c’est un vivier ! explique-t-elle. Pourquoi ne s’installent-ils pas ? Les politiques doivent y réfléchir. Et comprendre une chose : les médecins veulent bien travailler une partie de leur temps dans les déserts, mais pas forcément y vivre. »
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