Avec la fermeture unitaire des cabinets le 13 octobre, les médecins français ont une nouvelle fois marqué le coup. Honoraires en berne, épuisement, nouvelles contraintes ou menaces : leur grève reconductible visait à mettre la pression à la fois sur l'exécutif et les parlementaires, à la veille de l'examen de textes à la fois décisifs et inquiétants (proposition de loi Valletoux sur l'accès aux soins, projet de budget de la Sécurité sociale 2024).
Ce climat conflictuel chez les blouses blanches n'est pas l'apanage de l'Hexagone. Dans plusieurs pays voisins du continent, les praticiens se mobilisent, les grèves sont massives et inédites de par leur ampleur.
« Le NHS est cassé »
En Grande-Bretagne, une mobilisation historique au long cours réunit « junior doctors » (les internes et jeunes médecins) et « consultants » (les praticiens hospitaliers expérimentés). Après de premiers soubresauts en mars, un marathon de 72 heures de grève commune s'est tenu début octobre et le conflit devrait se prolonger jusqu’en 2024. Du jamais vu pour la British medical association (BMA), syndicat britannique qui négocie avec le gouvernement. La raison ? Un pouvoir d’achat raboté par les politiques d’austérité et la forte inflation. Dans ce contexte, les soignants du NHS – le service public de santé national qui faisait la fierté des Britanniques – réclament des hausses de salaires bien au-delà des 6 % proposés par l'exécutif. Les junior doctors revendiquent une augmentation de 35 % pour rattraper leur salaire de 2008…
Le Dr Benoît Grall, médecin français spécialiste en addictologie, installé à Brighton et chef d’un centre, va droit au but. « Le système NHS est cassé », lâche-t-il, constatant lors de ses gardes au Royal Sussex County Hospital que « des patients dorment dans les couloirs sur des brancards car il n’y a plus de lits disponibles et un manque de personnel ». Un peu moins alarmiste, le Dr Morgan Evans, spécialiste en maladies infectieuses à Édimbourg, explique que le gouvernement écossais a su de son côté juguler in extremis le mouvement des praticiens. « Il y a d'abord eu un vote des jeunes docteurs en faveur d’une grève fin juillet. Les consultants étaient solidaires pour faire la grève dans les hôpitaux. Mais au dernier moment, le gouvernement a fait une offre de revalorisation acceptée : la grève était enterrée. » Résultat : les internes écossais ont été revalorisés de 17,5 % en plus sur deux ans.
Trop de paperasse outre-Rhin
En Allemagne également, les médecins ont battu le pavé début octobre. Ils étaient quelque 10 000 à manifester dans les rues, notamment à Berlin, devant le ministère de la Santé, où ils ont lancé leurs blouses blanches pour protester contre la baisse de leur pouvoir d’achat liée à l’inflation et la surcharge administrative chronophage. Les libéraux estiment ainsi consacrer jusqu'à 60 jours par an au « paperwork » plutôt qu’aux soins… Là aussi, les médecins ont provoqué quatre jours consécutifs sans soins primaires.
« Notre plus grand problème reste la démographie médicale, que nous ne pouvons pas augmenter car il n’y a plus assez de place à l’université, confie le Dr Christoph Garbe, médecin généraliste à Hamelin. Alors, nous faisons venir des docteurs étrangers. » En Allemagne aussi, on avance comme solution le renfort d'infirmiers spécialisés et, comme en France, tous les médecins ne sont pas prêts à ces délégations. L'omnipraticien installé depuis 27 ans regrette aussi les difficultés majeures d’accès à ses confrères spécialistes. « Une prime pour la prise en charge de nouveaux patients a été supprimée par le ministère de la Santé, remplacée par une moindre prime pour les médecins "adressés" par les généralistes », explique-t-il. « Avec ces manifestations, nous voulions que nos revendications soient entendues par les politiques et qu’ils ne nous laissent pas seuls. » La réaction du ministre de la Santé ? « L’argent ne résout pas tout ».
Sus aux heures sup' au Portugal
Au sud de l’Europe, la profession est aussi en surchauffe, comme le raconte le Dr Tiago Villanueva, généraliste au Portugal et président de l’Union européenne des médecins omnipraticiens (UEMO). « Les manifestations lusitaniennes sont le résultat de l’échec des négociations entre les syndicats et le ministère. Les praticiens hospitaliers comme les libéraux ainsi que les internes sont concernés ! » Les généralistes salariés dans les établissements font la grève des gardes depuis fin juin et leur mobilisation vient d’être prolongée jusqu’en novembre. En cause, la non-revalorisation de leurs émoluments. Le gouvernement a « unilatéralement fait passer une loi qui n’augmente que très peu les paies des médecins hospitaliers mais allonge la limite de leurs heures supplémentaires de 150 à 250 par an », précise le Dr Villanueva. Un mouvement spontané de praticiens refusant cette loi s’est créé, alors que des services entiers ferment dans les hôpitaux.
Pour les omnipraticiens libéraux, de légères augmentations sont passées mais au prix d'« un système très complexe d’incitations et de rémunération à la performance. Par exemple, si des économies sur les tests ou les prescriptions étaient réalisées », se désole le Dr Villanueva, qui ne cache pas son amertume. « Le Portugal illustre à quel point les médecins ne sont ni valorisés, ni écoutés ni assez impliqués dans la nécessaire réforme du système de santé. » Cette phrase, nombre de ses confrères continentaux auraient pu la prononcer.
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