Vous avez annoncé le lancement d’une mission nationale sur les CPTS. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Agnès Firmin Le Bodo : Les CPTS ont été créées pour favoriser la coordination entre professionnels d'un territoire et ainsi améliorer la réponse aux besoins de santé de la population. Actuellement, 750 CPTS existent ou sont en cours de formation et elles couvrent environ 70 % de la population française. Nous souhaitons les développer sur l’ensemble du territoire d’ici fin 2023. La mission va être lancée prochainement. Elle sera confiée à un médecin généraliste, un représentant d’ARS et un directeur de Cpam. L’idée de cette mission et de ce tour de France est de voir, auprès des CPTS les plus matures et qui fonctionnent bien, les éléments qui permettent aux professionnels de mieux appréhender cet exercice-là. Il ne s’agit pas d’établir une « CPTS modèle » mais de comprendre ce qui fonctionne, quels sont les freins à leur développement et quelles seraient les pistes d’amélioration. Ces CPTS sont très diverses car la liberté est laissée aux professionnels de santé qui souhaitent en construire une. Elles sont d’ailleurs de tailles très inégales, la plus petite doit couvrir à peu près 5 000 habitants et la plus grosse 300 000.
La charge administrative liée à la participation aux CPTS est pointée du doigt par certains médecins, la priorité affichée du gouvernement est pourtant de leur redonner du temps…
A. F. Le B. : L’objectif des CPTS n'est pas de redonner du temps aux médecins. Selon moi, il s’agit davantage de leur permettre d'accéder à d’autres professionnels dans le cadre d’un exercice coordonné. Quand on appartient à une association, c’est toujours du temps. Je pense néanmoins qu'on exagère souvent le temps administratif généré par la participation à une CPTS pour un médecin. La mission nationale nous permettra aussi d'éclairer ce point. Mais, dans une CPTS, on s’investit pour avoir un exercice avec d’autres professionnels, se former, organiser une réponse efficace aux besoins des patients… Et des moyens sont mis, il y a des coordinateurs qui permettent de la faire fonctionner. Cela se construit, certes, mais, in fine, facilite le mode d’exercice.
Les CPTS ne couvrent-elles pas des territoires trop larges pour être une référence de la coordination du parcours de soins ?
A. F. Le B. : La CPTS n’est pas physiquement ancrée quelque part. Les professionnels de santé fixent eux-mêmes l’échelle territoriale en la créant et décident d’y adhérer ou pas, et tout ça dans l’intérêt et la prise en charge du patient. Cela donne donc des tailles et des modes de fonctionnement très variables selon les territoires et la réalité des parcours de santé.
Le rapport du Clio (Comité de liaison des institutions ordinales) Santé vous a été remis il y a quelques mois. L’Ordre des médecins y voyait une affirmation de la place centrale du médecin dans de nécessaires équipes de soins coordonnés. Ce qui ne semble pas être retenu dans la PPL Rist avec l’accès direct aux IPA, kinés, orthophonistes. Que répondez-vous ?
A. F. Le B. : Dans le Clio, on parlait d’exercice coordonné. Le médecin reste la pierre angulaire du système de santé. Il établit le diagnostic, et, s’il le souhaite, il peut, dans le cadre d’un exercice coordonné, avec une équipe traitante qu’il s’est constituée – donc là, la CPTS a tout son intérêt –, confier à un infirmier le suivi du diabète de son patient, par exemple, dans le cadre de protocoles qu’ils ont co-construits. C’est ça, l’esprit du Clio. Dans le cadre du passage en commission de la PPL Rist, l’accès direct en exercice est resté, le mot CPTS a disparu.
Les CNR territoriaux vont être pérennisés. Quelles sont les pistes à l’étude ?
A. F. Le B. : Nous sommes en phase de travail. Le président de la République, dans le cadre de ses vœux aux soignants, a souhaité que nous travaillions à la pérennisation de ces CNR et à la constitution d’un pacte territorial. C’est ce que nous sommes en train de construire. Nous devons définir la manière de continuer à mobiliser nos concitoyens autour des sujets de santé. Et nous allons co-construire les réponses avec les collectivités territoriales, dont nous avons besoin, sur l’attractivité des métiers de la santé.
En quoi va consister ce pacte territorial ?
A. F. Le B. : Le pacte territorial repose sur l’idée d’éviter les concurrences entre les territoires. À travers mes déplacements, je constate que tout le monde a le plus beau territoire… et le plus grand désert médical. 87 % de la France est un désert médical ! Comme il y a une pénurie partout, nous devons construire des solutions territoire par territoire car ils sont tous très différents dans la manière dont ils veulent accompagner. Certains se sont lancés très tôt dans le salariat, d’autres ne le souhaitent pas mais veulent bien accompagner dans la construction des locaux. Il n’est plus possible de faire pareil partout.
Dans le cadre des négociations conventionnelles, l’Assurance maladie a mis sur la table des propositions pour favoriser le recours aux assistants médicaux. Allez-vous engager des actions sur la formation et la question des locaux ?
A. F. Le B. : L’objectif est de dégager du temps médical. L’assistant médical, et c’est prouvé, c’est en moyenne 10 à 15 % de temps médical gagné. Il faut donc accélérer ce dispositif. L’objectif est d’arriver à 10 000 assistants avant fin 2024. Il faut rassurer et expliquer ce que peut faire l'assistant médical. C’est le médecin qui choisit. Certains souhaitent qu’il ne fasse que la partie purement administrative, d’autres souhaitent qu’il puisse faire la préconsultation… Avec François Braun, j’ai lancé une mission flash Igas afin d’avoir le retour d’expérience des 3 600 assistants actuels.
Car il y a des enjeux de formations pour lesquels nous devrons travailler avec le ministère du Travail ainsi que des enjeux de locaux. En effet, les cabinets n’ont pas été conçus pour accueillir un stagiaire et en plus un assistant médical. Quand c'est possible, nous travaillons avec les collectivités locales pour trouver des locaux à proximité. Nous allons regarder au cas par cas. C’est aussi mettre dans la tête de tout le monde que quand on construit une MSP, il faut anticiper les besoins pour ces postes. Cela passera aussi par le pacte territorial sur lequel nous travaillons.
L’introduction dans les négociations conventionnelles d’un engagement territorial est décriée par les médecins. D’autant plus avec son inscription dans la PPL Rist. Que leur répondez-vous ?
A. F. Le B. : La colère des médecins, nous la comprenons, nous l’entendons. Nous savons qu’il y a des professionnels de santé et des médecins qui travaillent déjà beaucoup et nous entendons leur incompréhension face à cet engagement territorial. Je pense qu’actuellement une majorité de généralistes y répondent déjà. L’idée n’est pas de surcharger ceux qui font déjà de gros efforts mais de mieux répartir la contrainte sur tous. Pour ceux qui voudront participer à l’effort collectif, ils signeront cet engagement, qui se traduira déjà par une somme de 3 000 euros pour la signature de l’engagement, et par une consultation socle qui sera supérieure à 26,50 euros.
Nous avons cette nécessité de bien répondre aux besoins, car si on entend le mécontentement des médecins, on entend aussi celui des Français et nous sommes dans l’obligation de répondre aux deux, mais on ne pourra le faire qu’avec les médecins. On ne parle pas d’obligation dans l’engagement territorial. On parle d’une consultation socle qui est réévaluée de 6 % pour tous et sur la signature d’un engagement d’accès à d’autres rémunérations dont les tarifs sont en train d’être négociés. C’est un engagement gagnant-gagnant. Le passer dans un texte de loi répond à la nécessité de le faire. La convention sera là pour mettre des chiffres derrière cet engagement.
L’enjeu est aussi dans la conservation du modèle de la médecine libérale. Nous sommes à un moment charnière, la façon de faire de la médecine générale évolue et la situation nous oblige à en passer par là. Et si, au moment de la convention, cet engagement gagnant-gagnant n’est pas accepté par les médecins, je ne sais plus quels arguments je pourrais opposer aux parlementaires face aux propositions de toutes formes de régulation, d’obligation, de coercition.
Récemment, certains médecins ont agité la menace du déconventionnement. Ce phénomène vous inquiète-t-il ?
A. F. Le B. : À titre personnel, c’est un choix des médecins que je regretterais. Notre système de Sécurité sociale n’est pas fait comme ça. Et à l’heure où on essaie de mettre tout en œuvre pour répondre à ce contexte compliqué, nous avons un devoir collectif d’y répondre. Sur le temps court, nous essayons de trouver les moyens, avec les différentes actions dont je viens de parler. Et sur le temps long, nous devons essayer d’anticiper, de réfléchir aux enjeux de la transition démographique, de la transition écologique, de la transformation numérique… pour qu’on ne nous reproche pas ce qui a pu être reproché à nos prédécesseurs.
Sur le recours aux urgences l’été dernier, les certificats médicaux à la rentrée prochaine, les rendez-vous non honorés, vous semblez miser sur la sensibilisation des patients. Y a-t-il un enjeu de responsabilisation ?
A. F. Le B. : Nous sommes tous en train de faire des efforts et de tout faire pour laisser les soignants soigner. Les médecins font de gros efforts, nous essayons de les accompagner avec les assistants médicaux, les simplifications, etc. La Cnam va aussi faire de gros efforts et nos concitoyens doivent aussi faire partie de l’effort collectif. L’enjeu est également de resensibiliser nos concitoyens à la notion de temps médical, rappeler qu’il est précieux. Un rendez-vous pris doit être honoré. Il peut ne pas l’être pour certaines raisons, mais on s’excuse et on prévient. Il va falloir objectiver le nombre de rendez-vous non honorés mais il est nécessaire de se dire que la santé n’est pas un bien de consommation comme un autre.
La concertation sur la sécurité des soignants est lancée ce jeudi 16 février (entretien réalisé le 13 février). Qu’en attendez-vous ?
A. F. Le B. : L’idée de cette concertation est d’inclure tout le monde. Les problèmes liés à la sécurité des professionnels de santé ne concernent pas que l’hôpital. De la même façon, ils ne concernent pas seulement les médecins mais aussi tous les personnels soignants et administratifs. Nathalie Nion, cadre supérieure de santé de l’AP-HP, et le Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France, ont été missionnés pour me faire des propositions sur le sujet. Leur rapport doit être remis au plus tard le 15 juin.
En ce qui concerne les médecins libéraux, nous avons déjà annoncé, en janvier, l’ouverture aux professionnels de santé libéraux de la plateforme de signalements de l'Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS). Nous avons d’ailleurs intégré les Ordres à cette démarche. C’est une première étape et cela permettra d’objectiver, d’une part, l’ampleur du phénomène – car, pour l’instant, les faits les plus documentés concernent l’hôpital. D’autre part, cela permettra un meilleur accompagnement des médecins dans leurs déclarations. Car, bien souvent, ces derniers sont freinés par l’aspect chronophage des dépôts de plaintes. C’est pourtant essentiel car les médecins libéraux sont, eux aussi, confrontés quotidiennement aux violences verbales et physiques. La sécurité est d’ailleurs un critère qui entre en jeu pour certains médecins qui souhaitent s’installer à tel ou tel endroit ou pour ceux qui envisagent d’ouvrir leur cabinet après 19 ou 20 heures. Nous devons construire des réponses gradées et réagir tout de suite quand une agression verbale ou physique a lieu. Les campagnes de sensibilisation sont importantes (affiches dans les cabinets par exemple). Mais des mesures plus fortes, telle que la pose de caméra de surveillance dans les cabinets ou l’emploi de personnel de sécurité, sont sans à doute à envisager.
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