Améliorer la qualité et l’accessibilité des soins palliatifs en France en leur substituant le concept de soins d’accompagnement : tel est l’enjeu de la stratégie décennale 2024-2034. « Le passage du concept des soins palliatifs aux soins d’accompagnement permettra d’anticiper la prise en charge des patients dès le diagnostic de la maladie, de l’élargir à tous les besoins médicaux et non médicaux, ainsi qu’à l’accompagnement de l’entourage », promet le ministère de la Santé. Élaborée à partir du rapport du Pr Franck Chauvin, elle se veut plus consensuelle que le projet de loi fin de vie qui précise les conditions de l’aide à mourir.
Le constat est connu et partagé : la France se situe à la 15e place des pays de l’OCDE en matière d’offre de soins spécialisés en médecine palliative. Les interventions se concentrent sur les toutes fins de vie et ne parviennent pas toujours à soulager les douleurs. Une personne sur deux qui requiert ces soins n’y a pas accès ; une proportion qui atteint les deux tiers chez les enfants. Les besoins sont pourtant grandissants : d’ici à 2035, le nombre de patients qui nécessiteront une prise en charge palliative est estimé par la Cour des comptes à près de 440 000 personnes (+15 %).
1,1 milliard d’euros de mesures nouvelles sur 10 ans
Alors qu’en 2023, la dépense annuelle consacrée aux soins palliatifs s’élève à 1,6 milliard d’euros, le gouvernement promet de débloquer 100 millions pour financer de nouvelles mesures chaque année, soit à l’issue de la stratégie, 1,1 milliard supplémentaire. En 2034, le montant annuel des dépenses publiques pour ces soins s’élèvera à 2,7 milliards d’euros. « C’est un effort sans précédent par rapport aux précédents plans ; à chaque mesure correspond un financement », commente pour le Quotidien le Pr Régis Aubry, CHU de Besançon, co-auteur du rapport Chauvin. Et de saluer la création d’une instance de pilotage pour évaluer régulièrement la pertinence des mesures et leur concrétisation.
Symbole d’une nouvelle ère, la stratégie crée des maisons d’accompagnement, structures hybrides entre le sanitaire et le médico-social pour accueillir des patients graves et stables, qui n’ont pas un entourage suffisant (familial, professionnel) pour rester à domicile. Elles ont aussi vocation à être des lieux de répit pour les aidants menacés d’épuisement. « Le progrès guérit mais fabrique des fins de vie longues, complexes et solitaires qui appellent de nouvelles formes de solidarité. Ces maisons se veulent une réponse autre que purement médicale et hospitalière », commente le Pr Aubry, qui a lui-même monté un tel dispositif à Besançon dans les années 2010. S’il faut attendre le vote du projet de loi fin de vie pour officialiser par décret cette nouvelle catégorie d’établissements, une dizaine seront expérimentés d’ici à la fin 2025, dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt, avec un financement assuré par la Sécurité sociale. Une fois le décret publié, une dizaine émergeront chaque année, pour atteindre la centaine en 2034.
La stratégie développe les structures spécialisées sur le territoire. Une vingtaine de départements sont dépourvus d’unité de soins palliatifs (USP) : en 2024, au moins 11 départements devraient ouvrir une USP (selon les critères prévus dans l’instruction de juillet dernier) ; les neuf derniers le feront au plus tard en 2025. Le nombre de lits dans les USP devrait passer de 1 540 à 1 760 (+ 220).
Une centaine d’équipes mobiles (au nombre de 412 aujourd’hui) devraient voir le jour d’ici à 2034, dont 15 dès cette année. Les structures « douleur chronique » seront étoffées : 27 (15 en cancérologie, 12 pour les mineurs) s’ajouteront aux 274 existantes. D’ici à 2031, toutes les régions devront avoir une plateforme interventionnelle pour recevoir les patients souffrant de douleurs réfractaires. Le soutien à l’hospitalisation à domicile devrait permettre de prendre en charge de 70 000 à 120 000 personnes. Et 6 000 équivalents temps plein (notamment des psychologues) consolideront sur 10 ans l’accueil dans les Ehpad.
Pour les enfants, la stratégie vise la mise en place de 28 équipes régionales pédiatriques (contre 23 aujourd’hui) et de 17 USP pédiatriques d’ici à 2030 (dont trois dès 2024).
Les maisons d’accompagnement se veulent une réponse autre que médicale et hospitalière aux fins de vie longues, complexes et solitaires
Pr Régis Aubry, expert des soins palliatifs
Vers un DES de médecine palliative et de soins d’accompagnement
Pour renforcer l’attractivité de la filière, 300 postes de chefs de clinique (dont 10 en 2024), de professeurs d’université et d’assistants spécialistes (sociologues, éthiciens, etc.) devraient s’ouvrir en 10 ans. Une réflexion est en cours pour monter un diplôme d’études spécialisées (DES). « C’était un choix que nous n’avions pas fait avant, car nous souhaitions que la culture palliative soit partagée par tous les soignants. Force est de constater que l’attractivité manque sans DES, sans oublier que nous avons besoin de former des spécialistes pour les USP et les équipes mobiles », décrypte le Pr Aubry. Un programme interdisciplinaire prioritaire de recherche en soins d’accompagnement doit faire émerger trois équipes de recherche médicale (INSERM) ou de sciences humaines et sociales (CNRS).
Enfin, la stratégie veut promouvoir les droits des patients en développant les plans personnalisés d’accompagnement pour qu’ils puissent exprimer au plus tôt leurs préférences pour leur prise en charge globale. Objectif : que dans 10 ans, toutes les personnes affectées par une pathologie à haut degré de prévisibilité et celles pour lesquelles les chances de rémission sont élevées (500 000 patients) se voient proposer ce dispositif.
Quant aux aidants, ils se verront proposer une consultation dédiée dès l’annonce du diagnostic de maladie grave de leur proche, et d’ici à cinq ans, l’allocation journalière d’accompagnement devrait permettre un accès simplifié aux congés. Le nombre de bénévoles devrait doubler (de 6 000 à 12 000) pour entourer les malades les plus seuls.
Cette stratégie apaisera-t-elle les craintes des opposants au projet de loi fin de vie, comme l’espère le gouvernement ? La Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) a reconnu « une avancée importante » tout en exprimant son « inquiétude majeure quant à la disponibilité des soignants ».
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