Chaque année, les difficultés d’accès aux soins rencontrées par les Français entraînent une myriade de propositions et d’initiatives chez les acteurs du secteur. À l’aube de l’examen parlementaire du budget de la Sécu pour 2025, la clé semble cette fois se situer du côté des jeunes, internes ou diplômés, et des retraités. Du moins si l’on se fie aux initiatives de l’exécutif, des parlementaires ou des maires.
Lors de son discours de politique générale du 1er octobre, Michel Barnier a exposé sa feuille de route en santé, dans laquelle les internes occupent une place importante. En 2025, 11 000 places seront ouvertes dans les facultés, contre 8 500 pour cette année (en réalité un report des postes lié à la réforme de l’internat, nombre d’étudiants ayant volontairement redoublé). Au-delà, la proposition phare de Matignon est le « programme Hippocrate », permettant aux internes français et étrangers de « s’engager volontairement » à exercer dans des territoires sous-dotés « pour une période donnée ». Reste à savoir quelles seront les modalités de ce dispositif. Lequel ressemble comme deux gouttes d’eau au contrat d’engagement de service public (CESP), mis en place en 2010. Celui-ci attribue une allocation mensuelle de 1 200 euros brut (environ 1 085 euros net) aux étudiants dès leur quatrième année (2e et 3e cycles) qui, en contrepartie, s’engagent à exercer dans une zone sous-dense pendant un nombre d’années égal à celui durant lequel ils ont perçu la bourse. Le dernier bilan du CNG, datant de 2022, fait état de 5 432 contrats signés, en médecine, de 2010 à 2021.
On a l'impression qu'on nous fait porter la responsabilité des décisions politiques d'il y a 30 ans
Killian L'helgouarc'h, président des internes de l’Isni
Si les syndicats de jeunes ont salué le choix de Michel Barnier de l’incitation – plutôt que de la coercition – certains se sont étonnés de la mention à… Hippocrate, comme si ce programme relevait de l’éthique médicale. Le patron des internes de l’Isni, futur généraliste, déplore à cet égard le « sous-entendu » du message du Premier ministre. « Cela renvoie à notre serment et semble sous-entendre que nous, jeunes médecins, ne serions pas conscients des problèmes d'accès aux soins, regrette Killian L'helgouarc'h. Pourtant, nous les vivons au quotidien, que ce soit en ville ou à l'hôpital. Cela me désole. On a l'impression qu'on nous fait porter la responsabilité des décisions politiques d'il y a 30 ans ».
Vers un « service civique » médical ?
Quoi qu’il en soit, cette mesure surprise a permis à l’exécutif de reprendre la main alors que des élus de tous bords réclament des mesures directives, voire punitives pour les jeunes diplômés de médecine.
La députée Géraldine Bannier (MoDem) a ainsi déposé deux propositions de loi (PPL) qui ciblent les juniors. Le premier texte mise sur la contrainte, dès la sortie des études. Il consisterait à imposer « une année obligatoire d'exercice en zones sous-dotées » pour tous les nouveaux diplômés en médecine. En pratique, chaque année, spécialité par spécialité, seraient déterminées les zones fragiles vers lesquelles diriger les jeunes recrues. Consciente que les mesures coercitives ont été jusque-là repoussées par l’Assemblée, l’élue centriste espère convaincre avec sa deuxième PPL, « discutée et partagée » avec l’Académie de médecine. Elle vise à mettre en place « un service civique médical » d’un an, fondé sur le volontariat, en zone sous-dense et sous une forme salariée, pour les jeunes généralistes et spécialistes nouvellement diplômés. La rémunération serait calquée sur la grille indiciaire des praticiens hospitaliers et les loyers seraient entièrement pris en charge.
La fin d’un totem
L’idée de mobiliser les juniors inspire décidément sur tous les bancs. Le député des Côtes-d’Armor, Corentin Le Fur (Les Républicains), a déposé le 1er octobre sa propre PPL pour mettre fin au « totem » de la liberté d’installation. Il propose que toute nouvelle implantation soit autorisée préalablement par l’agence régionale de santé (ARS) : si la résidence principale du médecin est dans une zone sous-dense, l’autorisation serait délivrée de droit ; dans le cas contraire, elle ne pourrait l’être qu’à condition qu’un médecin de la même spécialité, exerçant dans la même zone, cesse son activité. Cette forme de « conventionnement sélectif » fait écho aux travaux du groupe transpartisan – aujourd’hui près de 90 députés de tous bords, hors RN – mené par le tenace député socialiste mayennais Guillaume Garot, avocat de la régulation depuis des lustres. Un groupe qui vient de reprendre ses travaux.
Plus tôt cette année, une autre députée LR, Frédérique Meunier, avait proposé en avril d’accorder une deuxième chance aux premiers étudiants recalés au concours de la première année de médecine. Avec, comme contrepartie, la contrainte d’exercer la médecine générale dans une zone tendue de leur académie pendant dix ans ! Une contribution au débat qui n’a, pour l’heure, pas été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée.
Toutes ces dispositions directives ont-elles davantage de chance de passer dans la nouvelle Assemblée nationale morcelée comme jamais ? Rien n’est moins sûr, d’autant que Geneviève Darrieussecq a réaffirmé clairement, devant les sénateurs le 8 octobre, son opposition à toute forme de coercition à l’installation.
Les maires ruraux plus constructifs ?
Les députés ne sont pas les seuls à vouloir mobiliser davantage les jeunes pousses médicales. Gilles Noël, le vice-président de l’association des maires ruraux de France (AMRF), manœuvre lui aussi en coulisses. Ce dernier défend l’idée qu’à chaque nouvelle installation, le généraliste doive réaliser par « solidarité territoriale », une journée par semaine au minimum dans une maison de santé à proximité, dans un secteur sous-doté.
Le texte a été voté au congrès de l’AMRF et les internes de l’Isnar-IMG y seraient favorables. Reste à définir les modalités et l’attractivité d’une telle mesure. Gilles Noël évoque un hébergement partagé avec d’autres jeunes du territoire et équipé pour pouvoir faire de la visioconférence ; des bourses du département ou des intercommunalités et, pourquoi pas, un « forfait zone sous-dotée » financé par la Cnam. Au demeurant, l’Assurance-maladie a elle-même concentré diverses aides à l’installation, dans la nouvelle convention, avec des forfaits versés automatiquement aux primo-installés dans les déserts médicaux, quelle que soit leur spécialité (10 000 euros en ZIP, 5 000 euros en ZAC).
Les retraités aussi à la rescousse
Mais l’autre extrémité de la pyramide des âges intéresse aussi les autorités.
À l’instar de ses propositions sur le retour d’enseignants à la retraite pour prêter main-forte à leurs collègues, Michel Barnier a également évoqué, dans son discours de politique générale, le recours aux médecins retraités, avec un cumul emploi retraite plus « favorable ». De fait, le nombre de « cumulards », toutes spécialités, ne cesse de croître : entre 2023 et 2024, le contingent de praticiens ayant opté pour cette formule de retraite active a bondi de 12 607 à 13 513 (906 médecins supplémentaires, + 7,2 %). Cet engouement s’explique sans doute par l’exonération de cotisations vieillesse (base, complémentaire et PCV) appliquée uniquement pour l’année 2023 aux retraités actifs. Michel Barnier est-il prêt à reconduire cette mesure ? Chez les LR, il s’agit en tout cas d’une piste populaire, portée de longue date par le Pr Philippe Juvin, qui avait tenté de pérenniser le dispositif. Lors des élections législatives, il s’agissait aussi d’une mesure santé phare du RN, qui voulait permettre à ceux qui continuent à travailler d’être exonérés d’impôt sur les revenus qu’ils auront réussi à dégager.
Alors les « cumulards », manne pour l’accès aux soins ? Le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président de l’Ordre des médecins (Cnom), chargé de la démographie, n’y croit pas vraiment… Car ce vivier de médecins retraités actifs, même s’il a quadruplé depuis 2010, « va arithmétiquement aller en diminuant : les futurs jeunes retraités seront graduellement moins nombreux que leurs anciens », explique-t-il. La faute au « fruit amer » du numerus clausus : en 1982, seuls 6 000 étudiants de deuxième année de médecine avaient été formés ! Ces derniers prendront leur retraite d’ici à cinq ans. Pas de quoi changer radicalement la donne, donc…
Médecins solidaires salués par la ministre de la Santé
D’autres solutions gagnent du terrain, comme l’implantation des centres gérés par l’association Médecins solidaires, où des généralistes de tous âges et tous horizons – jeunes médecins, installés et retraités ! – se relaient pour exercer une semaine par an. Geneviève Darrieussecq a salué le travail du Dr Martial Jardel, lors de sa première visite en tant que ministre de la Santé dans un centre « solidaire » de la Creuse. Ces structures seront au nombre de sept d’ici à la fin d’année et l’ambition de l’association est d’en ouvrir 14 d’ici à 2025 et 21 en 2026.
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