Même si la notion était connue de longue date, la pandémie Covid a mis en avant – en particulier auprès du grand public – l’importance de la santé des soignants et des personnes travaillant dans le domaine médico-social, afin de faire face à cette situation de crise. Bien sûr, les personnes qui travaillent dans le soin ou la relation d’aide ne sont pas les seuls à être soumis à des périodes de crise : on peut aussi citer les militaires, les policiers, les pompiers… La prévention des risques professionnels générés par les activités hors du commun de ces travailleurs – qui renvoient dans l’imaginaire collectif à une image d’exemplarité et d’héroïsme – est indispensable. Pour des raisons très diverses (manque de temps, de moyens et craintes au sujet de la confidentialité), il n’existe à ce jour que des données limitées permettant de décrire la santé de ces professionnels, leur mode de vie, leur comportement, leurs exposomes (expositions particulières à ces professions, par analogie au génome). L’exposome professionnel désigne l’ensemble des expositions à la fois professionnelles (pénibilités avec risques biologiques, physiques, chimiques, psychosociaux et organisationnels) et environnementales (mode de vie, addictions).
Nous avons constaté que la singularité des professionnels n’était pas prise en compte
Pr Alexis Descatha, CHU d’Angers
Considérer la santé dans sa globalité
Comment mieux apprécier l’exposome des soignants (aides-soignants, infirmiers, médecins, pharmaciens, internes) et proposer des pistes pour améliorer leur état de santé, leur bien-être et leur bien vieillir ? Le Pr Alexis Descatha et des collègues (Inserm, Irset-Ester, Univ et CHU Angers) ont procédé dans un premier temps à une revue systématique de la littérature. « Ce travail préliminaire nous a permis de constater que le niveau de preuve était peu élevé et que les infirmiers et aides-soignants hospitaliers présentaient partout dans le monde un risque de problèmes de santé mentale, explique au Quotidien le Pr Descatha. Si les données déjà disponibles proposent des approches à plusieurs niveaux (de l’individu à l’organisation générale) nous avons aussi constaté que la santé n’était jamais considérée dans sa globalité (toute la santé, tous les risques, tous les exposomes) et que la singularité des professionnels n’était pas prise en compte : médecins, autres soignants, étudiants, à l’hôpital comme en dehors en libéral, en présence ou non d’un environnement biologique particulier et selon le sexe ».
Forts de ce travail préliminaire, le Pr Descatha et 18 autres chercheurs ont répondu à un appel à manifestation d’intérêt émanant de la Drees et de la Fondation MNH (actionnaire du Quotidien du Médecin) qui recherchaient des équipes d’épidémiologistes et de spécialistes de la santé au travail pour se pencher sur trois sujets spécifiques : la santé mentale et les addictions, la santé des femmes et le risque de cancer. « Nous avons choisi d’y ajouter deux valences particulières : la santé physique et la pénibilité au travail », continue le Pr Descatha. Le but était de mesurer l’exposome par le biais de matrices emplois-expositions (job exposure matrix/ JEM) méthodologie quand les mesures ne sont pas présentes (méthode de référence) ni les questionnaires (les plus communément utilisés). Ces matrices sont des tableaux de correspondance entre caractérisation des emplois et évaluation des expositions (source a priori ou a posteriori, types, indicateurs). Elles permettent d’évaluer des expositions pour un grand nombre de travailleurs en fonction de la catégorie d'emploi, tout en limitant les biais liés aux symptômes ou au statut de malades (important pour les études transversales). Elles sont aussi utiles pour les expositions passées, où la mesure directe est impossible et la mémorisation expose à des erreurs de classification. Elles permettent d’avoir un ordre d’idée des expositions quand aucune autre information n’est rapportée au niveau collectif.
Une cohorte comprenant plus de 12 000 professionnels
Pour ce travail, l’équipe du Pr Descatha s’est appuyée sur les données de la cohorte Constances, une cohorte épidémiologique « généraliste » constituée d’un échantillon de 220 000 adultes âgés de 18 à 69 ans à l’inclusion, volontaires pour être inclus au sein des Centres d’examens de santé de la Sécurité sociale. Ils ont défini une sous-cohorte Soignances qui regroupe les professionnels de santé identifiés sur le calendrier professionnel à l’inclusion, à partir du code métier basé sur la profession et catégorie sociale de 2003 (12,1 % des actifs de Constances n = 12 489). Une autre sous-cohorte, désignée sous le terme Cohérence, a inclus des personnels de secours et de sécurité incendie (n = 231), de sécurité intérieure (n = 242), autres sécurités (n = 497). Le principe est de décrire simplement les expositions et l’état de santé en termes de prévalence et d’incidence parmi les professionnels de santé et les quelques catégories spécifiques (pompiers, policiers), ces données pouvant ensuite être comparées. Ce travail a débuté en 2023. À terme « des mesures de prévention adaptées aux différents métiers du soin pourraient être proposées à une échelle collective en s’appuyant par exemple sur les services de santé au travail », conclut le Pr Descatha.
Descatha A, Temime L, Zins M et al. SOIGNANCES: The Healthcare Professionals Cohort in the CONSTANCES. J Occup Environ Med. 2023 Aug 1;65(8):e578-e579.doi: 10.1097/JOM.0000000000002874.
Descatha A, Gilbert F, Goldberg M et al. Les cohortes des « héros » dans Constances : Soignances pour les professionnels de santé et Cohérances pour ceux de la sécurité. Archives des Maladies Professionnelles et de l'EnvironnementVolume 84, Issue 5, October 2023, 101850. https://doi.org/10.1016/j.admp.2023.101850
Descatha A., Leclerc A., Singier A, et al. Développement de matrices emplois-expositions et validation : du concept à la pratique. EMC - Pathologie professionnelle et de l'environnement 2024:1-11 [Article 16-910-A-10]
Fadel M, Roquelaure Y, Descatha A. Interventions on Well-being, Occupational Health, and Aging of Healthcare Workers: A Scoping Review of Systematic Reviews. Saf Health Work. 2023 Mar;14(1):135-40.
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