Pourquoi faudrait-il refuser une loi sur l’euthanasie alors que les exemples étrangers démontrent l’absence de dérive ?
Je n’ai pas voulu écrire un ouvrage comportant des éléments comparatifs qui relèveraient plutôt de la sociologie ou de la philosophie politique. L’existence de lois dans d’autres pays n’en confirme pas la pertinence. Imaginons une tribu perdue en Amazonie ou ailleurs, sans loi sur le sujet. Un soignant, un chamane soulagerait un malade à la fin de sa vie. Nous la qualifierions de société civilisée. C’est ce que j’ai défendu, dans la mesure où une loi ne peut embrasser toutes les situations singulières. Le risque de légiférer est de rendre illégal des situations légitimes. D’où le début de ce Tract racontant un cas vécu durant mon internat, et qui me poursuit encore, je revois encore la chambre. Cette histoire qui relate l’agonie d’un enfant n’est accessible à aucune loi pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’un enfant ne rédige pas de directives anticipées ; et parce que ses deux parents, qui auraient été désignés personnes de confiance, n’étaient pas d’accord sur l’issue à donner à cette maladie incurable. Quelle loi peut résoudre ce problème ? Dans le projet de loi Falorni discuté à l’Assemblée nationale en avril dernier, en l’absence de directives anticipées et de désignation d’une personne de confiance, celle-ci serait nommée par la loi, à savoir le conjoint ou la conjointe, puis les enfants, puis les parents, etc. C’est faire un parallèle entre le lien de proximité familiale et le degré de confiance. C’est à la fois parfaitement logique et totalement absurde. Tel ou telle aurait peut-être plutôt désigné un oncle ou un ami. Bref, une loi ne peut anticiper toutes les situations. C’est là le piège. En réalité, pour chaque cas particulier, les équipes soignantes s’accordent le plus souvent avec la famille sur une solution, même si cela ne se dit pas.
Certes, mais la loi exerce aussi un effet libératoire en autorisant des pratiques auparavant interdites.
Avant le vote d’une loi, l’interdit était moral, spirituel. La loi n’a pas pour rôle de donner bonne conscience, d’effacer les scrupules. Abréger la vie pour soulager impose une réflexion forcément habitée de scrupules. La loi ne peut libérer des scrupules. Le geste de tuer quelqu’un pour mettre fin à ses souffrances est un geste de compassion, d’amour comme l’illustrait le film de Michael Haneke, Amour. Les actes de bonté ne peuvent pas relever de la loi. Au fond il n’y a pas de bonne solution.
Pourtant la loi Veil en autorisant l’interruption volontaire de grossesse a permis de sortir de la clandestinité des pratiques réalisées au quotidien par des médecins.
Il y a une profonde différence entre mettre fin à l’agonie d’un être souffrant et interrompre la vie d’un fœtus. Dans le cas de l’IVG on a légitimement gommé la singularité : une femme, et c’est libérateur, peut ne pas désirer de poursuivre une grossesse sans avoir à en justifier le motif. Concernant l’agonie, aucune loi ne peut être appliquée en invoquant seulement le souhait d’une personne de ne plus vivre. Ici la loi ne doit pas effacer la singularité.
Le dernier mot, si on vous a bien compris, appartient au médecin, non au patient. Est-ce bien raisonnable ?
Je défends la singularité concernant le patient. Mais vous avez raison, le dernier mot n’a pas à appartenir au médecin. Dans une société civilisée on peut admettre que cet acte soit accompli par compassion par un médecin, ou par amour par une personne proche du patient. Mais comment écrire cela dans la loi ? L’acte du personnage interprété par Jean-Louis Trintignant dans le film déjà évoqué ne relève d’aucune loi. En dehors des périodes de conflit et de catastrophe, j’ai tendance à avoir confiance dans les groupes humains, dans leur capacité compassionnelle, à savoir une famille, un service hospitalier, une équipe de soignants en Ehpad. Les dérives sont toujours à craindre mais aucune loi n’en protège.
Vous évoquez votre confiance dans les soignants. Dans votre ouvrage, vous rappelez pourtant comment dans le jargon hospitalier on réduit les agonisants à l’appellation de « findvie ».
C’est un biais de la médecine qui souhaite, il est vrai, tout encadrer. On a fait de l’agonie une spécialité en soi. Il y a là un danger. Lorsque je parle de confiance, j’aurais dû ajouter une condition, à savoir : dès lors qu’ils sont confrontés à une situation singulière, exceptionnelle. Le danger réside dans la répétition de tels actes, il faut se méfier de la systématisation.
Vous pointez la justice comme une force immanente, universelle. Pourtant chaque procès permet l’examen d’une situation particulière, singulière qui nourrira ensuite la jurisprudence.
En fait je nuance cette notion dans mon texte en écrivant que la justice a une prétention universalisante. Ce qui constitue un piège dans sa rédaction. Je m’appuie sur le texte de Pierre Bourdieu qui met en avant le risque de normalisation du droit liée à sa prétention d’universalisation. La loi ne peut tendre à la justesse pour chaque acte d’euthanasie. Tout est là : il ne faut pas confondre justesse et justice.
La mort hors la loi, Stéphane Velut, éditions Gallimard, tract n°31, 3,90 euros.
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