Victor Hugo donne aux va-nu-pieds de l’An II une sublime superbe. « Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues », dit-il. Toutes proportions gardées, on peut établir un parallèle entre la gloire et les moyens des grands Chu et les graves difficultés où l’on trouve souvent les petits établissements. Ces derniers sont pourtant le sang qui coule dans les veines des territoires dont les patients méritent comme tous les citoyens la même attention, les mêmes moyens, la même qualité de prise en charge. Les technologies vont, on l’espère, leur procurer l’appui qui leur manque, aidées en cela par la mutualisation des moyens et des courages. Un saut quantique vient pointer le bout de son nez digital qui va inéluctablement renverser la table des vieux systèmes, par la sécurité, la plasticité, la mobilité et les économies de ressources publiques. Ce monde est en train de passer du pyramidal au neuronal.
Le pouvoir aux usages et aux services
Depuis plusieurs années, les soft technologies permettent une évolutivité et une adaptabilité sans égale dans l’Histoire. Elles s’imposent dans tous les secteurs, changent les habitudes, renforcent l’efficience des process, réduisent les coûts. La santé, l’hôpital et le nouveau concept de territoire de santé numérique (TSN), avec quinze ans de retard, aboutiront aux mêmes résultats. Ces avancées sont le Cloud Computing, le SAAS (Software as a Service), les Smart Data, le Big Data, la virtualisation, la simulation digitale personnalisée, la modélisation. Ces innovations font que déclinent les vieux systèmes, et c’est heureux, car propriétaires, lourds, peu réactifs, évoluant mal et se révélant très onéreux à l’usage.
Les professionnels de santé ont compris, enfin, que les besoins sanitaires prioritaires et leur sécurisation devaient prendre le pas sur les docteurs es Informatique. Couvrir les besoins, satisfaire les usages, voilà le combat. Les patients, les médecins, les infirmières doivent bénéficier d’un temps médical plus efficace qui se départit de la technologie. Les Ehpad, la HAD, les maisons de retraite doivent pouvoir accéder à la bonne information, au bon moment, sous la bonne forme, à un coût raisonnable, sans devoir pour cela embaucher des technologues, ce dont ils sont incapables faute de moyens.
Si on laisse de côté les plateaux techniques sophistiqués, la recherche clinique, une partie de la formation spécialisée, apanages de CHU aux organisations inchangées depuis 1958, les structures de nature et de taille différentes doivent et vont changer la donne. Elles vont évoluer grâce à l’interopérabilité, les possibilités de la mobilité, la plasticité des technologies et du Web par l’intermédiaire d’hébergements de données sécurisés.
Les mouches ont changé d’âne
Nous nous attachons depuis cinquante ans à traiter l’aigu, la crise, l’a posteriori en un mot le cure par des moyens sans doute adaptés quand la population était plutôt jeune, que le ratio actifs/inactifs ne posait pas de problème en période de croissance et d’inflation subventionnée par la finance américaine.
Pour ce qui concerne les années à venir, la compétition mondiale, le poids de la dette, le vieillissement des populations et son cortège de complications onéreuses, les changements d’orientation professionnelle des médecins, les corporatismes surannés, la fin des découvertes « faciles » de nouveaux médicaments, nous obligent à prendre en charge le risque long incompatible avec l’état actuel de notre système. C’est la raison de la prise en compte des parcours de santé territoriaux. Nous devons aborder l’information qualifiée des patients, l’éducation sanitaire et thérapeutique, la prévention et la détection précoce. C’est l’avènement du care et de la co-conception de solutions avec les patients et les professionnels de santé.
Asinus asinum fricat (Pigault-Lebrun, 1824) décrit bien le système quand il se félicite et qu’il oublie sa mission : prendre en charge des patients souffrants et angoissés. Le sang et les larmes sont difficilement quantifiables dans un tableau Excel. Mais tout n’est pas perdu. Dans le domaine des systèmes d’information aussi, les corporatismes cèdent, au profit des patients et sans doute sous leur impulsion connectée. De nouvelles solutions émergent, les innovations « disruptives » changent la vision des choses. Elles permettront d’assurer l’accès à l’information médicale, immédiate, mobile, à un coût réduit et la France, contrainte, peut tirer son épingle du jeu en conservant ses valeurs solidaires.
Ad augusta per angusta
De la contrainte budgétaire naît l’obligation de résultat par les établissements de petites tailles ou mieux de territoires de santé synergiques, incluant et interopérant à la fois la médecine, le médico-social, l’information sanitaire et l’attitude proactive des patients. Pour ce faire, n’oublions pas que le numérique n’est pas la digitalisation du papier mais l’opportunité de travailler différemment, plus rapidement, mieux et pour plus de patients. La France est certes un vieux pays qui appartient à un vieux continent dont le poids des verticaux culturels ralentit la course à la performance, mais aussi amortit les excès de tous bords.
À partir d’une vision portée par la démocratie sanitaire qu’embrassent nos valeurs solidaires, nous pouvons franchir le pas du numérique utile dans nos territoires. « Les grandes choses se font par des voies étroites » (Victor Hugo, Hernani, acte IV, scène 3). Le changement n’est pas chose facile et souvent l’Homme dit pourquoi changer, plus rarement pourquoi ne pas le faire. Jean Monnet avait raison d’affirmer que « les Hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise ». N’oublions jamais que l’Histoire ne retient que les audacieux, pas les comptables. Edison, Fleming, Curie, Pasteur, Einstein, Mozart, Turing, les frères Wright sont allés leur chemin et nous nous sommes habitués.
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