Le film Un jour je serai docteur suit quatre jeunes femmes, Tesnim, Clémence, Dalia et Hichma, issues de quartiers populaires ou non, qui accompagnent à travers l’écurie sociale et solidaire des jeunes qui rêvent de devenir médecin. Ces étudiants ont grandi dans des quartiers où les études supérieures sont souvent un rêve lointain. Émouvantes, drôles, déterminées, elles illuminent les 52 minutes du documentaire d’Olivier Pekmezian. Leurs rires, leurs doutes, leurs larmes, de fatigue ou de joie, leur fierté, font écho à celles des filles et des garçons qu’elles aident à traverser l’épreuve de la première année d’études de santé. « Je dois m’inquiéter ? », demande son père à Dalia, reçue en médecine, qui semble plus se préoccuper de ses protégés que d’elle. « Non, je gère », répond avec douceur la jeune femme, qui a la vocation chevillée au corps depuis toute petite.
Une petite voix se lève parfois : « Pourquoi pas moi ? »
« Quand on vient de nos quartiers, que nos parents ne sont pas médecins et n’ont pas fait de longues études, médecine parait inaccessible, on se dit que ce n’est pas pour nous », déclare Tesnim dans les premières minutes du film. Le ton est donné. Pourtant, au détour d’une rencontre, avec un enseignant, un membre de l’écurie qui intervient régulièrement dans les lycées des quartiers prioritaires, une petite voix se lève : « Pourquoi pas moi ? Si d’autres qui me ressemblent l’ont fait, c’est que cela doit être possible ». À l’avant-première, Aïssa et Salim Grabsi, le psychiatre Noé Jedwab , co-fondateurs de l’écurie, François Crémieux, directeur de l’AP-HM, Benoît Payan, maire de Marseille, des élus, la consule des États-Unis, le réalisateur et le producteur Gilles Perez, accompagnent cette plongée au cœur d’une jeunesse issue de quartiers dont les médias en France se font plus souvent l’écho sous l’angle de la délinquance que des talents qu’ils recèlent.
Un taux d’admission de 40 % en PASS et de 80 % en LAS
Les étudiants de l’écurie sont encadrés gratuitement par des tuteurs et tutrices bénévoles, étudiants en médecine, souvent passés par cette écurie, mais pas forcément. Au programme : cours, concours blancs et corrections. « C’est une gymnastique à acquérir, ce passage du cours aux QCM, ça va venir », encourage Clémence. Depuis le début de l’aventure, plus de 250 étudiants et lycéens issus de milieux modestes et défavorisés sont passés par cette écurie en trois pôles (lycéens, parcours d’accès spécifique santé [Pass] et licences accès santé [LAS]). « La promotion Gertrude Belle Elion accompagne près de 200 étudiants et lycéens pour 2024-2025, se réjouit Aïssa Grabsi, co-fondateur de l’association Le Sel de la vie d’où est née l’écurie. La dernière promotion, Rosalind Franklin, nous distingue par ses résultats avec deux grands admis, un taux d’admission de 40 % en Pass et de 80 % en LAS. »
Dans cette course, l’expérience et la bienveillance des tuteurs sont précieuses. Le décor est planté dès le début de l’année : « Tu travailles 14 heures par jour, tu n’as ni week-end ni vacances. » Et la préparation mentale est centrale. « Dans les quartiers prioritaires, il y a autant de talents qu’ailleurs, mais les jeunes n’ont souvent pas l’idée de se lancer dans des cursus longs, témoigne Zenab Al Hamidi, grande admise. Quand les parents ont fait des études supérieures, ils créent pour leur enfant un environnement propice au travail, mais lorsque ce n’est pas le cas, c’est à vous de créer cet espace autour de vous et de l’expliquer à vos proches. C’est très difficile. C’est la plus grande différence entre jeunes issus de milieux sociaux différents, et un obstacle majeur à la réussite dans les quartiers populaires. »
« L’accompagnement psychologique est central pour préparer au mieux les étudiants, renchérit Aïssa Grabsi. La difficulté extrême du concours s'apparente à une montée de l'Everest tant les blocages, freins psychologiques et périphériques, sont importants. Depuis deux ans, une équipe de volontaires intervient au plus près, individuellement. Médecins, psychiatres, sophrologues, psychologues cliniciens sont les sherpas qui contribuent aux résultats probants de Médenpharmakiné. » Autre intervention : en amont de la prépa, les parents sont invités à rencontrer les équipes, qui les encouragent à décharger le jeune de toute charge domestique. Et tout au long de l’année, le suivi rapproché réalisé par les tuteurs et tutrices fait la différence… Qui mieux que des pairs pour ne pas baisser les bras ? Bien sûr, certains abandonneront, mais ils sont très peu nombreux.
Aller au-delà d’un sentiment d’illégitimité
Le pari marseillais, qui réunissait à l’origine une dizaine de personnes pour une première édition de 12 étudiants, est en passe d’être gagné au vu des résultats des premières promotions et des effectifs qui gonflent d’années en années. Mais beaucoup reste à faire pour lutter contre le premier obstacle, ce sentiment d’illégitimité qui colle à la peau des aspirants médecins, et persiste parfois chez les étudiants et les médecins. « J’ai eu du mal à trouver ma place lors de mes premiers stages, je ne savais pas comment faire, pas comment me comporter », témoigne ainsi Hichma. « J’ai beaucoup douté au début, j’ai mis du temps, mais j’ai fini par prendre mes marques, encourage Lisa, étudiante en 5e année de médecine. Je n’ai qu’un message : ne doutez pas, foncez, ne laissez personne délimiter vos rêves. Nous serons d’excellents médecins ! »
Lorsque vous doutez de votre légitimité, je vous invite à vous regarder les uns les autres ; je ne vois pas comment vous pourriez douter encore
François Crémieux, directeur de l’AP-HM
« Les échanges entre jeunes dans ce film sont d'une rare intelligence sur la mixité sociale, l'hôpital public, la santé, lance François Crémieux. Ce que j’aimerais vous inviter à faire, lorsque vous doutez de votre légitimité, c’est à vous regarder les uns les autres, et je ne vois pas comment vous pourriez douter encore. » Les blouses blanches massées sur la scène et les poulains de l’écurie sont émus par le film, le public nombreux, le vent d’égalité et de fraternité qui souffle sur les travées. « Une vague de fond est lancée, se réjouit Aïssa Grabsi. Mais il reste beaucoup à faire pour que les changements s’opèrent dans les représentations collectives. On déploie actuellement le modèle d’écurie solidaire dans les Hauts-de-France, en partenariat avec l’Afad et Ajir.com, pour une première promo Pass-LAS en septembre 2025. »
En savoir plus :
Le film sera diffusé jeudi 19 septembre à 22 h 50 sur France 3 PACA et sur la plateforme france.tv
Le Sel de la Vie : https://sel-de-la-vie.org/
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