Il y a eu une véritable explosion des prescriptions de gabapentinoïdes (gabapentine et prégabaline) depuis leur positionnement en tant que traitement de première intention dans les douleurs neuropathiques. L’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne de la prégabaline en 2004 a été suivie d’un véritable engouement, avec des prescriptions hors AMM qui se sont multipliées pour divers symptômes (troubles du sommeil, de l’humeur, douleurs postopératoires…).
« Une grande partie de cette utilisation est motivée par la tentative de traiter la douleur chronique avec un médicament non opiacé », souligne la Pr Valeria Martinez (Garches).
Des indicateurs dans le rouge
Les premiers signaux d’addictovigilance sont apparus dans les années 2010. Depuis, de nombreux essais ont confirmé l’ampleur du problème. Une étude a notamment été réalisée à partir de la base de données EudraVigilance de l’Agence européenne des médicaments. Tous les rapports spontanés de mésusage/abus/dépendance liés à la gabapentine (2004-2015) et à la prégabaline (2006-2015) ont été collectés, soit 200 000 rapports sur dix ans.
Les résultats ont montré que 6,6 % des rapports étaient associés à la prégabaline et 4,8 % à la gabapentine. Les décès observés étaient pour la plupart en association avec des opioïdes (1).
« Tous les indicateurs sont dans le rouge. Dans les outils des Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A), il a été observé que la prégabaline se trouve être en première position (23,8 %) des ordonnances suspectes en 2018 (enquête OSIAP) », insiste la Pr Valeria Martinez. Dans l’enquête OPPIDIUM de 2019, la prégabaline apparaît pour la première fois comme le premier produit ayant entraîné une dépendance chez les usagers de drogues. Et dans les enquêtes DRAME et DTA, la prégabaline est impliquée dans des décès liés à l’usage de drogues, en association à d’autres substances.
La prégabaline en première ligne
La prégabaline est caractérisée par un taux d’absorption plus rapide (1,5 h), une plus grande biodisponibilité et une action inhibitrice plus forte que la gabapentine.
Dans la cohorte EGB Population (700 000 sujets), le mésusage (deux fois la dose journalière définie) est davantage susceptible de survenir chez les nouveaux utilisateurs de prégabaline (12,8 %) que de gabapentine (6 %) [2]. Après ce premier épisode de mésusage, environ 11 % des utilisateurs ont développé une dépendance primaire. Les personnes à risque sont celles qui abusent des opioïdes : population carcérale, sujets prenant de la méthadone en substitution…
Le risque de dépression respiratoire sous opioïdes est augmenté par la gabapentine et la prégabaline. Cette dernière augmente également les risques suicidaires.
Enfin, si les gabapentinoïdes utilisés en analgésie péri-opératoire permettent une épargne morphinique, ils induisent aussi des effets secondaires qui, selon différentes études, limitent leur utilisation. Quant à l’effet préventif sur les douleurs chroniques après chirurgie, il n’est pas démontré (3).
Afin d'éviter le mésusage de la prégabaline et les risques associés, l’Agence nationale de sécurité du médicament a donc limité sa durée de prescription à six mois avec une ordonnance sécurisée (mai 2021).
D’après la communication « Mésusage des gabapentinoïdes » lors du congrès 2021 de la SFETD
(1) Chiappini S et al. CNS Drugs. 2016 Jul;30(7):647-54
(2) Driot D et al. Br J Clin Pharmacol. 2019 Jun;85(6):1260-9.
(3) Martinez V et al. Anaesth Crit Care Pain Med. 2018 Feb;37(1):43-7.
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