Tous les traitements anticancéreux peuvent avoir des effets secondaires cutanés. Les chimiothérapies atteignent préférentiellement les tissus à renouvellement rapide, comme la peau et les muqueuses ; les lésions provoquées par les thérapies ciblées sont fonction de la voie de signalisation visée. Quant aux inhibiteurs du check point immunitaire, ils vont surtout entraîner des maladies auto-immunes (un tiers des cas), indépendantes de la dose, de type érythème maculopapuleux, prurit, vitiligo, réactions lichénoïdes, psoriasis, dermatomyosites, pelade, etc. L’atteinte cutanée témoigne souvent d’une bonne réponse thérapeutique.
Le maintien du traitement anticancéreux se discute en fonction du rapport bénéfice/risque et de l’existence d’alternatives. « Dans la pratique, on réfléchit surtout en termes de symptômes et de gravité des lésions selon une classification internationale. Aux stades 1 et 2 il n’est pas nécessaire d’interrompre le traitement, le stade 3 sévère ou le stade 4 mettent en jeu le pronostic vital et impose son arrêt, et enfin le stade 5 représente les décès liés à la iatrogénie », a expliqué la Dr Elisa Brentano, dermatologue à l’Hôpital Ambroise Paré (AP-HP), qui a fait le point sur ce sujet.
• L’alopécie est l’une des complications les plus fréquentes, avec certaines chimiothérapies, bien moins avec l’immunothérapie ou l’hormonothérapie. L’alopécie définitive est rare, mais cheveux ou cils peuvent repousser – dans les 3 à 6 mois après traitement – avec un aspect différent. On peut proposer du minoxidil pendant la phase de repousse. Quant à la prévention par le port de casques réfrigérants, son efficacité est débattue.
• Les mucites secondaires à la chimiothérapie sont susceptibles de concerner tout le tube digestif, allant du simple érythème à la nécrose complète. Le risque est quasi de100 % en cas d’association radio-chimiothérapie pour les cancers des voies aéro-digestives supérieures. Les thérapies ciblées donnent plus volontiers des lésions limitées en début de traitement. La prévention est primordiale : bonne hygiène, éradication des foyers buccodentaires, suivi odontologique, bains de bouche réguliers mais non agressifs et sans alcool, plutôt de type bicarbonate ou sérum physiologique. Il existe un risque de surinfection, en particulier par le Candida albicans, mais il faut éviter les antimycosiques systématiques et les prélèvements abusifs, qui ne permettraient pas de distinguer colonisation physiologique et surinfection. Sur le plan curatif, on peut proposer des bains de bouche à base de corticoïdes, des antalgiques systémiques ou locaux (lidocaïne ou morphine 2 %). Il est indispensable de vérifier l’absence de retentissement sur l’état nutritionnel du patient.
• La xérose cutanée avec peau sèche, rugueuse, squameuse et parfois lésions eczématiformes est plus fréquente et plus sévère chez les sujets âgés. Elle peut aussi atteindre les muqueuses orales, vaginales ou oculaires. Elle s’observe surtout sous chimiothérapie, mais aussi avec certaines thérapies ciblées. Préventivement, on conseille des lavages sans savon, des émollients sans parfum ni alcool et la surveillance des fissures cutanées susceptibles de se surinfecter.
• L’éruption acnéiforme ou plus exactement la folliculite papulopustuleuse, au niveau du visage et du tronc est fréquente avec les thérapies ciblées, et serait de bon augure, une éruption cutanée importante étant généralement corrélée à une bonne réponse thérapeutique. Elle est prise en charge par des tétracyclines per os, des dermocorticoïdes et des soins émollients.
• L’érythème toxique non immunoallergique est dose-dépendant. Inflammatoire, douloureux, il est souvent bilatéral et touche les extrémités, les zones de contact ou les plis cutanés. Les tableaux cliniques sont divers. On peut proposer des anti-cox 2 et, selon la sévérité, on peut être amené à adapter les doses de chimiothérapie. Il importe surtout de ne pas méconnaître une réaction immunoallergique, potentiellement grave.
• Les toxidermies sévères immunoallergiques sont rares mais gravissimes – syndrome de Lyell, Dress (drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms), pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG). Il est essentiel, mais souvent difficile, de savoir à quel médicament, anticancéreux ou non, était en cause.
• Les réactions d’hypersensibilité immédiate, urticaire surtout, angioedème, rash cutané, prurit… peuvent survenir avec tous les traitements et en particulier avec les chimiothérapies et les anticorps monoclonaux. En théorie, elles contre-indiquent la réintroduction de la molécule, mais on peut discuter l’instauration d’une prémédication avant la chimiothérapie (elle est systématique avant les taxanes), voire une désensibilisation rapide si l’on ne dispose pas d’une alternative valide.
• Le risque de photosensibilisation se rencontre surtout avec le 5-FU et certaines thérapies ciblées. Elle peut laisser une hyperpigmentation séquellaire.
• On rencontre aussi des hyperpigmentations, liées surtout aux chimiothérapies, comme la typique hyperpigmentation flagellée à la bléomycine au niveau du dos. Les thérapies ciblées provoquent plutôt des hypopigmentations, qui peuvent toucher aussi les muqueuses et les phanères. Le vitiligo, maladie auto-immune, est classique dans les mélanomes traités par immunothérapie. Il faut conseiller une photoprotection et limiter les microtraumatismes locaux.
• Les hyperkératoses sont généralement induites par les inhibiteurs de Braf, responsables de syndromes main/pied, de kératose autour des follicules pileux, de kystes et surtout de lésions précancéreuses type papillomes verruqueux, qui peuvent entraîner des carcinomes épidermoïdes cutanés. On conseille des émollients, des kératolytiques (urée à 10 ou 30 % ou acide salicylique 2 à 6 %) en préventif et curatif, des dermocorticoïdes sous occlusion. Les papillomes peuvent être traités par cryothérapie à l’azote liquide. « Il est indispensable d’assurer une surveillance dermatologique mensuelle chez les patients traités par inhibiteurs de Braf et d’assurer une bonne photoprotection », a rappelé la Dr Brentano.
• Les syndromes main/pied ou érythrodyesthésie palmoplantaire sont à prévenir et à dépister. Ils sont bilatéraux, dose-dépendants, soit diffus en cas de chimiothérapie type capecitabine et doxorubicine, soit plus localisés avec les thérapies ciblées ou l’hormonothérapie. Ils peuvent atteindre le grade 3 de sévérité et imposer un réajustement thérapeutique, aussi est-il primordial de les prévenir par les émollients, le port de chaussants adaptés, voire de semelles orthopédiques pour soulager les points d’hyperpression. Les patchs anesthésiques locaux et les anti-cox 2 soulagent la douleur. Les soins de pédicurie/podologie sont recommandés… mais ne sont remboursés qu’à la hauteur de 1,28 euro sur prescription médicale ! « Il faut penser à vérifier les mains et les pieds de nos patients traités pour cancer », a souligné Hedi Chabanol, pédicure-podologue à l’Hôpital Cochin (AP-HP).
Communications du Dr Elisa Brentano, dermatologue Hôpital Ambroise Paré, et d’Hedi Chabanol, Pédicure-podologue, Hôpital Cochin
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