PLUSIEURS ÉTUDES se sont penchées cette année sur les hypoglycémies iatrogènes chez les diabétiques. C’est en effet une complication bien plus fréquente dans la vraie vie que dans les études cliniques comme l’illustre l’étude observationnelle française DIALOG menée sur plusieurs milliers de diabétiques insulino traités de type 1 et 2 (1). Mais c’est aussi une cause non négligeable d’hospitalisations dont le nombre et le coût restent encore très largement méconnus en France. Cet item étant absent des écrans radars du système de santé, comme l’a constaté le Pr Serge Halimi à l’occasion de l’étude exploratoire menée à Grenoble sur les hypoglycémies sévères (2). Pourtant cette enquête, restreinte à la face émergée de l’iceberg vu le manque d’indicateurs, met à jour un taux d’hypoglycémies sévères dans le diabète de type 2 d’au moins 1 % par patient/an. Soit, au bas mot, plus de 25 000 événements par an et un coût estimé à 125 millions d’euros par an pour les hypoglycémies sévères liées au seul diabète de type 2 en France.
Hypoglycémies sévères et DT2 : les ADO aussi
L’enquête menée sous la direction du Pr Serge Halimi (2) a tenté de rechercher les données concernant les hypoglycémies sévères liées au diabète dans un bassin de population. L’exposé présenté à la SFD s’est focalisé sur le diabète de type 2. Ses résultats mettent en évidence un taux important d’hypoglycémies sévères chez les diabétiques de type 2, autour de 1 %/patient/an. Et encore cette enquête ne révèle-t-elle que la face émergée de l’iceberg et sous estime donc probablement largement l’impact de cette complication, vu le manque de ressources disponibles. « On manque totalement de données en France sur les hyperglycémies sévères iatrogènes. Et ne comptez pas sur le PMSI pour vous en apporter », déplore-t-il. Ce travail est donc le fruit d’une pêche aux données dans les dossiers des pompiers, du SAMU, des urgences du CHU et jusque dans les dossiers patients… « Sur une année entière, cette enquête rétrospective a pu identifier 105 hypoglycémies sévères survenues chez 99 diabétiques de type 2. Soit, sur une population d’environ 460 000 personnes dont 4 % de diabétiques de type 2, un taux d’hypoglycémies sévères de l’ordre de 1 %/ patient/an », résume le Pr Halimi. Les diabétiques de type 2 touchés par ces hypoglycémies sévères sont âgés. Ils ont 73 ans en moyenne. Et 30 % ont plus de 80 ans.
En termes de traitement, deux tiers sont insulinotraités. Parmi eux 60 %, sont sous insulinothérapie exclusive, et les autres sont sous insuline plus metformine (17 %), sulfamide (10 %) ou glinide (17 %). En revanche, un tiers sont sous seuls antidiabétiques oraux (ADO).
Les ADO impliqués sont très logiquement surtout des insulinosécrétagogues. On retrouve cinq fois sur dix un sulfamide. Bien plus surprenant, un glinide, le répaglinide (Novonorm) est impliqué quatre fois sur dix dans ces accidents. La comparaison aux données de vente CNAM en région, pour imprécise qu’elle soit, confirme une surreprésentation des sulfamides – en particulier glibenclamide et carbutamide – et du répaglinide dans ces hypoglycémies sévères sous ADO seuls.
Enfin, une majorité de ces diabétiques de type 2 qui ont fait une hypoglycémie sévère sont en insuffisance rénale. Seulement un quart ont une fonction rénale normale. Un autre quart a une fonction rénale inconnue. Et la moitié sont en insuffisance rénale (modérée à sévère avec dialyse). « La surreprésentation du répaglinide pourrait d’ailleurs être liée à cette problématique. Ce glinide sans d’élimination rénale a probablement été trop prescrit à des diabétiques âgés à fonction rénale fragile, commente le Pr Halimi. Cette enquête révèle que 40 % des hypoglycémies sévères des diabétiques de type 2 surviennent sous ADO seuls. Or ces hypoglycémies sévères touchent essentiellement dans notre enquête des sujets réputés fragiles, sujets âgés, insuffisants rénaux. Bon nombre étaient donc sûrement évitables. Or aujourd’hui aucun outil ne permet de suivre ces accidents en France. Le PMSI est hors jeu. Les données des services d’urgence sont incomplètes. Et même les dossiers du CHU ignorent le diabète dans ces circonstances. Résultat : les hypoglycémies sévères sont absentes des écrans radars. Alors qu’aux États-Unis, les antidiabétiques oraux arrivent en quatrième position des motifs d’hospitalisation pour iatrogénie des plus de 65 ans. Et que les hospitalisations pour hypoglycémies liées au diabète de type 2 représenteraient 3,5 % des séjours hospitaliers pour diabète de type 2, soit 1,3 millions de jours d’hospitalisations/an et un coût total estimé à 12 milliards de dollars/an ». Il est donc temps d’évaluer leur impact en France… Fort de cette première expérience, une étude de l’ARS en Rhône Alpes devrait permettre d’en savoir bientôt un peu plus.
Hypoglycémies et diabète insulinotraité : impact important dans le diabète de type 1 mais aussi de type 2
Quant à l’étude DIALOG, c’est la première grande enquête observationnelle dans la vraie vie menée sur plus de 4 400 diabétiques sous insuline en France (1). Ils ont été recrutés par 320 médecins généralistes (2 patients chacun) et 370 diabétologues (6 patients chacun). L’idée était d’explorer la fréquence des hypoglycémies confirmées dans ces populations. Elle porte donc sur les hypoglycémies symptomatiques associées à une glycémie inférieure à 0,7 g/l plus les hypoglycémies asymptomatiques avec une hypoglycémie (< 0,7 g/l), documentée biologiquement. Au total, dans la portion prospective de l’étude, les données de 1 317 diabétiques de type 1 (DT1) et de 1 731 diabétiques de type 2 (DT2) étaient analysables.
« Parmi les DT1, 75 % sont sous insulinothérapie adaptée : 41 % sous basal-bolus, 31 % sous pompe. Le quart restant est à moins de 4 injections/jour d’insuline, souligne Bernard Cariou (Nantes). Quand, parmi les DT2, une majorité a au moins deux injections d’insuline/jour, 40 % une seule injection et 33 % sont sous sécrétagogue, c’est-à-dire sulfamide ou glinide ».
L’étude prospective met en évidence que 86 % des DT1 et 45 % des DT2 font au moins une hypoglycémie par mois. Le taux global d’hypolycémie par patient est de l’ordre de 6,3 épisodes par mois dans le diabète 1 et de 1,6 épisode par mois dans le diabète de type 2. Les hypoglycémies sévères touchent, elles, 13 % des DT1 et 7 % des DT2 sur un mois. Soit un taux de 0,2 et 0,1 hypoglycémie sévère/patient/mois dans le diabète de type 1 et le diabète de type 2. Des hypoglycémies asymptomatiques confirmées sont retrouvées dans les mêmes proportions relatives dans les deux groupes. Chaque mois, respectivement 28 % des DT1 et 8 % des DT2 font au moins une hypoglycémie asymptomatique.
« Dans la vraie vie, les hypoglycémies chez les diabétiques insulino traités sont donc fréquentes et mésestimées, commente le Pr Cariou. Et dans le diabète de type 1 comme dans le diabète de type 2, les antécédents d’hypoglycémies constituent le facteur prédictif majeur de faire une hypoglycémie. L’existence d’antécédents multiplie respectivement d’un facteur 8 le risque d’hypoglycémie des DT1 et d’un facteur 3 celui des DT2 ». Les autres facteurs prédictifs sont, dans le DT1, plus de 2 injections d’insuline/jour (RR = 2,7), l’absence d’obésité (IMC inférieur à 30 kg/m2, RR = 2,1), plus de 10 ans d’insulinothérapie (RR = 2) mais aussi, moins attendu, le sexe féminin (RR = 1,8). Alors que, dans le DT2, on retrouve le nombre d’injections d’insuline, l’insulinothérapie plus de 10 ans (RR = 1,7) et l’absence d’obésité (RR = 1,35) auxquels s’ajoute, ici, le traitement par insulinosécrétagogue (RR = 1,6).
L’analyse médicoéconomique et de qualité de vie, en cours, permettra de préciser l’impact en terme de santé publique et au niveau personnel de ces hypoglycémies, manifestement très mésestimées par les médecins traitants si l’on regarde les réponses des patients et des médecins sur les antécédents d’hypoglycémies dans l’année précédant l’étude.
D’après les présentations orales des Pr Bernard Cariou. (1) Fréquence des hypoglycémies chez 4 424 diabétiques insulinotraités en France : résultats du suivi observationnel prospectif de l’étude DIALOG. (2) Serge Halimi - Fréquence, typologie des patients et côut médico-économique des hypoglycémies iatrogènes sévères chez des diabétiques de type 2 sur un territoire de santé en France.
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