Pour réduire la dépendance à l'expérimentation animale, une voie qui suscite beaucoup d'espoirs consiste à privilégier l'approche in silico, c’est-à-dire simuler via des programmes informatiques des procédés physiologiques ou mécaniques de l'être humain dans le but de tester des médicaments ou des dispositifs médicaux.
La pertinence des modèles informatiques dépend de la qualité et de la quantité de données qui y sont introduites, d'où le recours à l'intelligence artificielle. En janvier 2020, l’Institut du développement et des ressources en informatique scientifique, rattaché au CNRS, avait annoncé l'acquisition du supercalculateur Jean Zay, en partie consacré à faire tourner des algorithmes d'apprentissage automatiques. Sa puissance est centrée autour de la modélisation moléculaire et l'affinage de modélisations in silico.
Dans son laboratoire du Centre de recherche translationnelle en hémato-oncologie de l'université de Genève, Vladimir Katanaev et ses collègues utilisent la simulation bio-informatique et en constatent les limites actuelles. « Cette approche doit se développer, mais elle n’est pas encore mature, car les mécanismes en jeu sont d'une telle complexité qu'on n'a pas encore assez de puissance pour les modéliser de manière adéquate », juge-t-il.
Le modèle de la drosophile
L'équipe du chercheur a démontré l'intérêt d'une méthode de réduction de l'impact éthique en octobre 2022 (1) : la substitution d'un modèle animal lourd et complexe, la souris, par un autre plus léger, la drosophile. Avec d'autres scientifiques, Vladimir Katanaev a mis sur pied la plateforme universitaire HumanaFly afin de promouvoir le modèle drosophile pour l'étude des maladies humaines. Ils ont, de cette manière, réussi à évaluer le traitement d'une encéphalopathie pédiatrique rare.
L'encéphalopathie pédiatrique est causée par une mutation de novo dominante dans le gène GNAO1. Il y a deux ans, l'équipe de Vladimir Katanaev était parvenue à humaniser ce gène présent chez la drosophile.
« Cela nous a servi de preuve que les drosophiles ont le même phénotype que l'homme pour cette maladie et peuvent être un modèle adéquat », explique le chercheur. Une supplémentation en ion zinc II (Zn2+) de la nourriture des drosophiles génétiquement modifiées a permis de corriger les effets délétères de la mutation. Une nouvelle encourageante pour les jeunes patients : « les sels de zinc sont déjà approuvés pour le traitement de la schizophrénie et de l'insomnie, rappelle Vladimir Katanaev. Leur profil de sécurité est déjà bien connu. Dans ce cas précis, on peut donc passer directement à l'homme. »
Vladimir Katanaev estime qu'il ne sera pas possible de modéliser toutes les maladies chez la drosophile. « On estime qu'environ 80 % des gènes liés aux maladies humaines ont des homologues chez la drosophile, mais le niveau d'homologie n’est pas toujours à 100 % », indique-t-il.
Rat numérique et rat des champs
Une autre piste consiste à suppléer les animaux de laboratoire par un double numérique. Ainsi, en France, le projet Judifexa de jumeau numérique de souris est en cours, poussé par la Société d'étude et de traitement de la douleur (SFETD). Dans un premier temps, ce dispositif serait utilisé pour la formation des futurs jeunes chercheurs aux techniques d’expérimentation animale sur les rongeurs pendant leurs années de master et de doctorat.
« Ce simulateur permettra d’acquérir des compétences pratiques et de développer une compréhension éthique de la bienveillance envers les animaux », promet la SFETD. Concrètement, il s'agira de mannequins d'animaux équipés de capteurs, sur lesquels les étudiants pourront se familiariser avec les procédures techniques, les réactions physiologiques des animaux aux médicaments, ainsi que les comportements éthiques à adopter. Ils permettront aussi aux jeunes chercheurs de reconnaître et d'évaluer l’inconfort et la douleur chez le rongeur (changement de posture, grincement de dents, grattage, morsure, etc.).
Les organoïdes, une voie d'avenir
Développés dans le sillage de la recherche sur les cellules souches, les organoïdes constituent une autre voie explorée depuis 2010, qui peut servir d'alternative aux modèles animaux. Il s'agit de systèmes biologiques auto-organisés en 3D, généralement issus de cellules souches, qui récapitulent la structure et la composition cellulaire d'un organe particulier.
Par exemple, les organoïdes rétiniens, mis au point à l’Institut de la vision à Paris ont une durée de vie qui peut atteindre jusqu’à 300 jours. Ils permettent de reproduire et d’étudier les différentes étapes du développement d’une rétine saine en boîte de culture et de mettre au point des modèles de maladie. « Les dégénérescences rétiniennes héréditaires sont des pathologies pour lesquelles il n’existe généralement pas de modèle animal pertinent, notamment parce que l’œil humain est très différent de celui des animaux », précise Olivier Goureau de l'Institut de la vision, rappelant que la macula n’existe que chez l’homme.
(1) Y. Larasati et al, Science advances, vol 8, n°40, octobre 2022
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