L’univers de la santé peut-il échapper aux nouvelles contraintes environnementales dictées par le réchauffement climatique ? Sûrement pas. En attendant, « c’est une industrie comme une autre, rappelle la Dr Jane Muret anesthésiste-réanimateur à l’Institut Curie. Elle génère 5 % à 6 % des émissions de C02 dans les pays de l’OCDE et 10 % aux États-Unis. » À l’hôpital, les transports des patients, des personnels, des visiteurs pèsent lourdement sur le bilan carbone. Le transport partagé, la téléconsultation sont désormais des alternatives. La consommation d’énergie constitue le second poste. « On connaît l’état de vétusté des établissements de santé, peu isolés, souligne la Dr Muret. On a tous le souvenir de garde de nuit avec le chauffage allumé et la fenêtre ouverte. » Le Ségur de la santé a d’ailleurs programmé des mesures concernant la décarbonation de l’hôpital afin de supprimer les passoires thermiques. Viennent ensuite les achats, un poste très important qui représente un tiers des dépenses de l’hôpital. « Si l’on prend l’exemple des dispositifs médicaux, quasi 100 % sont en usage unique, poursuit la Dr Jane Muret, souvent de provenance lointaine, en plastique. Ce qui génère une pollution liée aux perturbateurs endocriniens. » Pour autant, il n’y a pas de cahiers des charges pour des investissements lourds d’achats décarbonés. « Dans une discipline comme la mienne, l’anesthésie-réanimation, nous utilisons une grande quantité de gaz directement à effet de serre. » Comment réduire leur utilisation et leur impact environnemental ? Ils ont plus d’impact que nos énergies fossiles.
L'industrie pharma, pas bien classée
Le médicament plaide également coupable. « Reconnaissons-le, lâche Frédéric Collet, président du Leem, l’industrie pharmaceutique n’est pas exemplaire. Au niveau mondial, elle est à l’origine de 5 % des rejets, soit l’équivalent d’un pays comme la Suisse. Si l’on établit un palmarès des industries propres, nous sommes meilleurs que l’industrie textile, moins bons que celles des cosmétiques. Toutefois, l’industrie automobile dans ce domaine est plus performante que nous. Bonne nouvelle, les grands laboratoires depuis plusieurs années s’engagent. Nous avons baissé nos rejets de 25 % en vingt ans mais aussi notre consommation d’eau. Ces réductions ont-elles été réalisées sous le poids de nouvelles contraintes ? Ou sont-elles le résultat d’initiatives individuelles ? Les initiatives privées ont en fait impulsé le mouvement pour réduire les rejets, optimiser le bilan carbone, être neutre en matière de consommation d’eau. Pour autant, la mise en œuvre de ces mesures s’avère complexe. Nous sommes soumis à des processus réglementaires très précis. La plus petite modification, y compris en matière de packaging, exige un nouveau temps de validation. Ces process s’étalent jusqu’à deux ans. Au-delà le médicament a des spécificités. On recense 2000 principes actifs. Entre 30 et 90 % sont retrouvés dans les eaux usées. Outre la décarbonation, nous sommes là confrontés à une problématique spécifique. »
Numérique, bilan médiocre
Quant au numérique, « il est également à l’origine d’un impact environnemental important, rappelle Brigitte Seroussi, (Délégation ministérielle au numérique en santé) avec plus de 15 % des émissions à effet de serre selon une étude publiée en 2019 à partir des données recueillies en 2014. Il n’est pas neutre au niveau du bilan carbone. Selon la DGOS, l’impact carbone moyen d’un CHU pour son informatique interne représente 5 % de son bilan carbone global. Dans le même temps on promeut le numérique. Il y a donc là un paradoxe que le ministère de la Santé doit gérer. Au niveau mondial, 150 000 décès annuels sont dus au réchauffement climatique. Ce chiffre devrait doubler avant 2030. »
Objectif, décarboner à 40 % en 2030
Mais après le constat, quelles solutions doivent-elles être préconisées ? Il y a urgence. « Comme tous les établissements hospitaliers, nous devons décarboner à hauteur de 40 % en 2030, précise la Dr Muret. Nous avons pris beaucoup de retard. » Sans surprise, on ne dispose pas encore d’ardoise magique. « On m’avait demandé de réaliser un audit sur le système de médicaments non utilisés, raconte Étienne Grass, directeur général Capgemini Invent. Conclusion, qu’il soit jeté à la pharmacie ou rapporté à la pharmacie, il sera incinéré. La solution n’est pas dans le système de santé proprement dit mais dans la manière dont il se coordonne avec d’autres systèmes, celui de la collecte des déchets, des transports, des matériaux lorsque l’on construit un nouvel hôpital. Sur ces sujets, il n’y a pas de réflexion globale. La seule étude sur le bilan carbone du système de santé a été réalisée par une association américaine. Le NHS au Royaume-Uni a mis en place une superbe étude de décarbonation très décentralisée, Aux États-Unis, une task-force vient d’être créée par le Président Joe Biden. Les pharmacies françaises sont les derniers temples du plastique. Nous sommes en retard en France. Pour y arriver, il ne faut pas découper en tranches mais intégrer cette question du bilan carbone dans tout le système de santé. Par exemple, le transport de médicaments relève d’une filière spécifique. Mais si l’on souhaite privilégier la problématique carbone, faut-il conserver en l’état les monopoles de distribution ? On ne peut d’un côté s’alarmer du réchauffement climatique et de l’autre isoler le système de santé dans sa citadelle. »
Consommation énergétique, bon point
La réduction de la consommation d’énergie a bénéficié en revanche d’avancées. « L’ensemble des établissements de santé et médico-sociaux représentent 15 % de la consommation d’énergie du secteur tertiaire en France, précise Cécile Prévieu, directrice générale adjointe Engie. Cela représente peu en termes de budget, 2 % à 5 %. En revanche, c’est un poste dynamique avec une progression de près de 10 % annuelle. Pour réduire la consommation d’énergie, trois leviers sont disponibles. En premier lieu, la rénovation des bâtiments. Ce sont des programmes lourds. Des crédits ont été débloqués par les ARS. Mais nous sommes seulement sur des pilotes, des tests. Second levier, celui de l’efficacité énergétique : comment réduire les consommations ? Nous proposons des contrats de performance énergétique qui incluent des réductions d’émission de CO2. Enfin, il est possible de "verdir" l’énergie.
Quant au système de production de froid, chaque établissement dispose d’un système autonome à la fois très consommateur et très émetteur de gaz à effet de serre. Si l’on opte pour un réseau de froid, souterrain, la réduction de gaz à émission d’effet de serre peut atteindre 40 % associée à des économies sur la facture. Ce réseau sera étendu à L’AP-HP à Paris. »
Pas une priorité pour le secteur de la santé
À la délégation ministérielle au numérique en santé, on a aussi quelques idées. « Il y a certes une dynamique positive avec une poignée de bons élèves, pointe Brigitte Seroussi. Mais le reste de la classe ne suit pas. Ce n’est pas une priorité pour les établissements de santé, les éditeurs de solution numérique. Nous défendons la sobriété numérique, utiliser le numérique à bon escient. Le ministère de la Santé a construit deux écoscores. Le premier évalue l’impact environnemental des applis de santé. Ce n’est pas un critère bloquant pour figurer dans l’espace santé. Le second écoscore mesure l’impact environnemental des systèmes d’information hospitalier. Il a vocation à rejoindre la certification des SIH. »
En tout état de cause, l’univers de la santé ne peut plus adopter une situation de surplomb face à l’urgence climatique. « En 2020, The Lancet avait titré "Crise climatique, crise sanitaire, la convergence des crises" rappelle la Dr Jane Muret. C’est cette prise de conscience qui s’est opérée pendant la crise Covid. » Permettra-t-elle d’éviter une nouvelle crise ?
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