LE QUOTIDIEN : Quelle est la situation sanitaire en Afghanistan ? Comment la crise politique affecte-t-elle les activités de MSF France sur place ?
Dr EMMANUEL BERBAIN : Les indicateurs de santé sont globalement dramatiques dans le pays. Le taux de mortalité infantile (décès avant un an) y est l’un des plus élevés au monde avec 47 décès pour 1 000 naissances. Le taux de mortalité à cinq ans est de 60 décès pour 1 000.
L’été et la période actuelle sont particulièrement compliqués. Un de nos axes phares d’intervention concerne la lutte contre la malnutrition, alors que le pays fait face chaque année à des épisodes d’insécurité alimentaire, traditionnellement aux mois de juin, juillet et août.
Cette année a été particulièrement marquée par des sécheresses et une aggravation des indicateurs de sécurité alimentaire. Cette dégradation est progressive et antérieure aux talibans, mais elle s’est amplifiée sous l’effet de plusieurs facteurs : l'inflation, la chute de l’économie, le départ ou la baisse d’activité de certains acteurs humanitaires, et bien sûr le Covid.
Notre activité se concentre sur la prise en charge en ambulatoire des enfants malnutris qui n’ont pas forcément de complications aiguës mais qui s’aggravent en termes nutritionnels. C'est un facteur qui impacte la mortalité. Notre centre de renutrition et de rééducation nutritionnelle intensive à Hérat dispose de 45 lits d’hospitalisation. L’activité qui a été forte en juillet s’est maintenue en août et se maintient encore, alors que les années précédentes, une décrue s’amorçait courant août. Le taux d’occupation des lits est actuellement de 200 %, avec 85 enfants hospitalisés. Et on ne sent pas d’amélioration.
Nous faisons même face à une augmentation des besoins. D’autres acteurs ne peuvent plus être aussi présents dans le pays. Beaucoup n’ont pas pu maintenir leurs activités. De ce point de vue, l’autonomie financière de MSF, qui dépend de dons privés et non institutionnels, nous offre une liberté d’action.
Et sur le front du Covid-19 ?
L’Afghanistan vit la fin d’une vague massive, longue et particulièrement violente. À Hérat, où MSF France est implanté, la prise en charge des cas graves est assurée par un hôpital du ministère de la Santé qui dispose de 120 lits et par notre centre Covid d’une capacité initiale de 30 lits, montés à 50, puis 75 ces dernières semaines. Les ruptures de financements internationaux ont privé de ressources certaines structures médicales du pays, et l’hôpital du ministère de la Santé n’est plus en mesure de prendre de nouveaux patients. On supporte ainsi une activité qui n’était pas la nôtre habituellement, mais qui est vitale.
La prévention se révèle également complexe. Au niveau communautaire, l’application des gestes barrières (lavage des mains, port du masque en intérieur) n’est pas la priorité, même si on parvient à les faire respecter dans les centres de soins. Au niveau national, la vaccination reste insignifiante avec moins de deux millions d’Afghans vaccinés pour une population de plus de 40 millions d’habitants. Les urgences sanitaires sont tellement multiples que le pays est très en retard. Mais on s’attend à une nouvelle vague épidémique. On ne sait pas quand, ni son ampleur, mais elle arrivera.
L’OMS a récemment réclamé un pont aérien humanitaire pour assurer l’approvisionnement du pays en équipements médicaux. Avez-vous été touchés par la pénurie ?
MSF est parvenu à maintenir ses activités malgré la prise de pouvoir rapide des talibans. On savait ce qu’allait entraîner le départ des Américains. On avait anticipé, notamment en doublant les capacités d’une de nos bases arrière au Tadjikistan, au cas où les activités et les approvisionnements deviendraient compliqués à Kaboul. Nos approvisionnements ont également été majorés en amont. On n’a pas connu de ruptures de matériels, d’équipements ou de médicaments. Et, on a de quoi couvrir les besoins en consommables pour les prochains mois.
On a l’habitude de travailler dans un environnement volatile et on a les capacités de s’adapter. La difficulté actuelle vient de l’augmentation des besoins dans le pays. On a déjà passé des commandes pour faire face, mais la situation très instable autour de l’aéroport de Kaboul rend la réception encore incertaine, même si on a bon espoir.
Un autre point de blocage, ce sont les mouvements d’expatriés. Les équipes sur place, épuisées par le regain d’activité, les violences et le stress, ne peuvent pas être remplacées, alors que d’autres personnels sont en attente pour entrer dans le pays.
L’arrivée des talibans fait craindre une remise en cause des avancées obtenues ces 20 dernières années, notamment en faveur des droits des femmes. Comment ce changement politique pourrait se traduire en matière de santé ?
Nos interventions en faveur de la santé maternelle et infantile risquent en effet de devoir être renforcées et élargies. Cela nécessite des discussions au niveau local avec les nouveaux maîtres du pouvoir. MSF a cette expérience de travail dans des zones contrôlées par les autorités talibanes. Mais c’est une source d’incertitudes, c’est sûr.
Le besoin de renforcer nos activités est évident, alors que le pays est depuis longtemps sous perfusion des acteurs internationaux. L’arrêt de l’activité des acteurs dépendants des financements internationaux va impacter nos activités. À l’ouest du pays, par exemple, on assurait 200 à 250 consultations par jour, notamment pour des maladies chroniques. On est passé à 450 consultations quotidiennes assurées par des équipes restreintes.
Les inquiétudes sont là, mais ça ne nous empêche pas d’intervenir. La certitude, c’est le maintien de l’existant qui reste vital. Ensuite, nous allons explorer le potentiel d’autres activités, en identifiant des populations vulnérables et des zones avec peu d’acteurs de santé, difficiles d’accès, mais très peuplées.
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