IL Y A les désormais célèbres « bonnets rouges », les patrons « pigeons », le collectif des auto-entrepreneurs « poussins », les « dindons » de l’école, mais aussi les « moutons » qui refusent de se faire tondre. Beaucoup d’autres corporations expriment une colère catégorielle, un ras-le-bol fiscal. Et les médecins libéraux dans ce joyeux bestiaire ? Sont-ils au bord de la crise de nerfs ? Frondeurs, attentistes ou résignés ? Une radicalisation est-elle possible ?
Résistance et semaine blanche.
Plusieurs dossiers cristallisent l’exaspération d’une partie du corps médical comme l’annonce du tiers payant généralisé obligatoire, le lancement acrobatique par la CNAM du contrat d’accès aux soins, le flou d’une stratégie nationale de santé jugée trop hospitalocentrée ou encore des litiges tarifaires.
Pas suffisant, sans doute, pour conduire à une révolte médicale. Mais à quelques mois d’échéances électorales propices aux surenchères, des signaux incitent le ministère de la Santé à la vigilance. Le 9 novembre, l’Union française pour une médecine libre (UFML, une association qui fédère les médecins « pigeons ») a rassemblé 300 professionnels lors d’une réunion à Paris en forme de conseil de guerre. Les intervenants ont mis en pièces la politique de Marisol Touraine. Faut-il y voir un signe ? Plusieurs syndicats avaient répondu à l’appel dont la Fédération des médecins de France (FMF), l’Union des chirurgiens de France (UCDF), la Fédération nationale des infirmiers (FNI) ou la Fédération de l’hospitalisation privée en médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO)... Au point que l’entourage de Marisol Touraine s’est renseigné discrètement sur les raisons de cette poussée de fièvre.
Certains se verraient bien porte-étendard d’une nouvelle union des praticiens en colère, interdisciplinaire et intersyndicale. « Nous ne sommes pas des terroristes mais les médecins en ont assez du mépris et des insultes, résume le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML. Le système de santé va dans le mur. Les professionnels refusent d’être dépossédés de leur exercice par l’administration ou le politique ».
Si l’UFML mène un combat acharné contre le contrat d’accès aux soins, d’autres sujets de crispation se sont greffés : le tiers payant, les réseaux mutualistes, l’avenir du secteur II, les tarifs gelés, l’« OPA » de l’État sur les caisses de retraite des libéraux... Autant de raisons, pour un corps médical sous pression (administrative, fiscale, réglementaire) de redouter une perte d’indépendance.
Les « frondeurs » réunis par l’UFML ont déjà arrêté le principe d’une semaine blanche en mars 2014, soit plusieurs jours d’arrêt total d’activité. Un « collectif de mars » des professionnels en souffrance verra le jour le 2 décembre, qui pilotera les actions de protestation. Un appel à la grève ponctuelle des télétransmissions devrait être lancé le même jour comme « symbole du refus d’un système ».
On « détricote » l’exercice libéral.
Président de la Fédération des médecins de France (FMF), le Dr Jean-Paul Hamon perçoit ce vent de colère et se dit prêt à « faire monter la sauce », fût-ce au sein d’un conglomérat hétéroclite de défense des libéraux. « Je ne sais pas si ce sera explosif, comme à l’époque des coordinations, mais on ressent un mécontentement très puissant, on a l’impression que tout fout le camp » juge-t-il.
Au Syndicat des médecins libéraux (SML), le constat d’un climat orageux est partagé mais la méthode diverge pour se faire entendre. Son président Roger Rua a décidé de « tendre la main aux syndicats représentatifs » pour constituer un mouvement de résistance. « On assiste au détricotage de l’exercice libéral, analyse-t-il. Il est temps de structurer nos actions même si on va pas faire le syndicat unique ». L’idée serait de s’entendre sur les nouveaux fondements de l’exercice libéral et de fixer au gouvernement les lignes jaunes à ne pas franchir.
Les deux principaux syndicats, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) et MG France, engagés dans la vie conventionnelle, refusent de souffler sur les braises même si le regard porté sur la politique de santé du gouvernement devient plus sévère. Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, prédit d’ailleurs un « conflit tarifaire en 2014 » si l’exécutif ferme la porte à une revalorisation des honoraires. « Les médecins attendent ça, il n’y a plus un seul service qui vaut 23 euros ».
Chassang : aucune perspective claire.
Depuis quelques jours, la CSMF s’étonne ouvertement du « manque d’écoute » des pouvoirs publics. Pour la première fois, les parlementaires n’ont retenu aucun des (dix) amendements au budget de la Sécu proposés par la CSMF. Les sources d’inquiétudes portent sur les moyens jugés très insuffisants affectés aux soins de premier recours, à la médecine de parcours, à la chirurgie ambulatoire. « Ce PLFSS n’est pas bon, tranche Michel Chassang. Il manque d’envergure et ne trace aucune perspective claire ».
La CSMF mise sur la concertation plutôt que la confrontation. Elle demande l’ouverture immédiate des négociations interpro sur la rémunération du travail en équipe. Surtout, le syndicat se veut concret et pragmatique. Il propose aujourd’hui une alternative à la généralisation du tiers payant obligatoire avec un paiement monétique différé développé avec les grandes banques nationales*.
Indice néanmoins de la montée des crispations, la branche généraliste de la CSMF (UNOF) a ouvert une « liste noire » des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) à budget global qui ne paient pas la majoration grand âge pour les consultations des plus de 85 ans...
Goutte d’eau.
La question de la faiblesse des tarifs opposables risque de resurgir. « Les professionnels de secteur I se demandent quand on va s’occuper d’eux », insiste le président de MG France, qui réunit son congrès à Marseille, vendredi et samedi. Attendue, Marisol Touraine sera placée devant ses responsabilités. Le message est clair : si la stratégie nationale de santé repose sur un généraliste pivot, il faut lui en donner les moyens. Selon le Dr Leicher, « une explosion » dans le milieu médical n’est pas à exclure. « Les généralistes sont sous la pression des caisses, ils ont des exigences de santé publique. La moindre anicroche pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».
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