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La pénurie de soignants frappe aussi en Allemagne

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Publié le 18/10/2024
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Alors que les établissements de santé français font face à des difficultés de ressources humaines, d’autres pays rencontrent des situations similaires. Zeynep Or, économiste et directrice de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) et coauteure d’un rapport comparant les systèmes de santé français et allemand, partage son analyse pour « Le Quotidien ».

Zeynep Or

Zeynep Or

« Les systèmes de santé ne peuvent fonctionner qu’avec des personnels de santé », alerte depuis plusieurs années l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui estime qu’à travers le monde il manquera 10 millions d’agents d’ici 2030, « principalement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire ». Or, l’enjeu est de taille pour préserver l’accès aux soins et l’amélioration de la santé qui dépendent de la disponibilité de ces professionnels, de leur accessibilité, de leur acceptabilité et de leur qualité.

Si les tensions sur la démographie médicale sont prégnantes en France, les établissements de santé sont confrontés à des difficultés de recrutement et de fidélisation à tous les niveaux. D’autres pays européens connaissent les mêmes tensions, comme l’observe Zeynep Or, économiste et directrice de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) et coauteure d’un rapport comparant les systèmes de santé français et allemand. « Le secteur hospitalier en Allemagne est confronté à un excédent structurel de lits d’hôpitaux avec peu d’incitations à l’efficience malgré un système de paiement lié à l’activité », écrit-elle dans son rapport. Pour Le Quotidien, elle détaille : « L’Allemagne n’est pas un bon exemple d’organisation hospitalière : ils sont moins efficaces que la France. Ils ont trop de lits et pas assez de soignants par lit. Notre rapport montre qu’en termes de qualité et d’efficience hospitalière pour la plupart des indicateurs, la France est plus performante ». Car le système allemand repose sur une séparation stricte entre le financement de la médecine de ville et des établissements de santé. Avec des conséquences importantes pour l’hôpital : « Les budgets (…) négociés au niveau des Länder, et ensuite au niveau des établissements, réduisent la pression concurrentielle et incitent les établissements à maintenir des volumes d’hospitalisation élevés, sans incitations à l’efficience et à la qualité des soins », détaille le rapport de l’Irdes.

Un focus sur les infirmières

La directrice de recherche indique : « Ils ont multiplié les interventions pour remplir les lits mais ils manquaient d’infirmières ». Pour encourager le recrutement d’infirmiers, l’État fédéral a introduit des ratios infirmier/lit en 2019, et a sorti les coûts infirmiers de la tarification à l’activité, leur salaire fait donc partie d’un budget différent. Mais Zeynep Or le souligne : l’attractivité des métiers ne repose pas uniquement sur les salaires. « En France, on a augmenté les salaires avec le Ségur, mais le problème des conditions de travail est aussi lié aux problèmes organisationnels. Quand vous voyez l'organisation des hôpitaux d'autres pays comme le Royaume-Uni, les Pays Bas, le Danemark, ou encore l’Italie, il y a un vrai métier d’infirmière, qui évolue avec l’expérience, qui se spécialise ». La directrice de recherche insiste sur la valorisation du métier d’infirmière : « il y a une vraie carrière dans de nombreux pays. Après 10 ans dans un service, on reconnaît les compétences, les connaissances acquises, tandis qu’en France, ce n’est pas le cas : vous pouvez travailler 10 ans en cancérologie, et on peut vous changer de service du jour au lendemain ». Elle plaide ainsi pour une évolution des structures hospitalières pour donner plus d’autonomie aux soignants et une place plus importante aux infirmières dans la hiérarchie.

On a sous-estimé l’impact de ces changements technologiques et organisationnels sur les soignants

Zeynep Or (Irdes)

Par ailleurs, les échanges avec les autres pays européens révèlent également des difficultés communes liées aux changements d’organisation mais aussi technologiques. « On a sous-estimé l’impact de ces changements technologiques et organisationnels sur les soignants, déplore Zeynep Or. Quand vous développez la chirurgie ambulatoire, il y a des effets positifs. Pour le patient, il entre le matin et ressort le soir. Pour le chirurgien, la technique change, il faut l’apprendre et cela change la charge de travail. Et pour les autres soignants, ce que vous faisiez durant les trois jours d’hospitalisation, vous le faites en une journée. A-t-on suffisamment anticipé ces changements ? Nous n’avons pas porté assez d’attentions à cette réorganisation pour les soignants ».


Source : Le Quotidien du Médecin