Orléans, lundi 11 février.
Troublé par l’annonce de David Pujadas au journal de vingt heures, l’homme a préféré se coucher tôt. Et seul, dans l’obscurité de son petit studio, il s’est mis, une fois de plus, à comptabiliser le temps écoulé… Lentement, les yeux mi-clos il se répète le total : 81 semaines et trois jours. Il y a donc très exactement aujourd’hui 570 jours qu’Anders Breivik rédigeait – dans le sang – le prologue du Grand Œuvre, sur l’île norvégienne d’Utoya.
Quelle interminable attente ! Quand donc pourra-t-il enfin écrire le chapitre qui lui a été dévolu ? Il brûle tant de passer à l’action que le sommeil le fuit.
Ses yeux viennent de se tourner vers la table de nuit, vers le réveil qui affiche 23 h 22. Irrésistiblement, son regard anxieux glisse vers sa montre-bracelet. Impossible de résister, il faut qu’il vérifie… Soulagement : c’est la même heure ! Ce contrôle est ridicule, il le sait, mais c’est plus fort que lui. Et si par malheur, les deux affichages ne concordent pas, ce sera l’insomnie assurée, faute de savoir lequel lui aura donné l’heure exacte.
Ce n’est pas de sa faute. Depuis sa petite enfance, sa vie a été régie par les chiffres. Si loin qu’il se souvienne, il a toujours fallu qu’il dénombre, additionne, recompte… À commencer par les choses les plus futiles : les passages de la brosse sur ses dents, les tours de la petite cuillère dans sa tasse de café, les pas sur le trottoir depuis la poubelle jusqu’à la prochaine bouche d’égout…
Longtemps, il s’est demandé s’il était vraiment le seul à avoir compris l’importance des chiffres. Au moment de prendre une décision, ce sont pourtant les seuls indicateurs fiables… Et puis, le 12 décembre dernier (c’était facile à retenir : le 12/12/2012) il avait enfin obtenu une réponse à son obsédante question. Quand Benoît avait fait irruption dans sa vie. Il se remémore souvent cette première rencontre. C’était peu après l’incident avec ce psy rencontré par hasard. Ce goujat l’avait mis hors de lui en prétendant qu’il était affligé de TOC. Mais de quoi se mêlait-il, cet imbécile ? Il ne s’était bien sûr pas laissé faire et lui avait cloué le bec : « TOC, mon bon, ça tient en trois lettres ; con aussi, ça nous fera au moins un point commun. » Mais cet idiot avait quand même réussi à semer le doute dans son esprit…
Qui sait ce qui se serait passé si Benoît n’avait pas précisément choisi la nuit suivante pour prendre contact avec lui et le rassurer ?
Un grand moment que celui-là. D’un seul coup, il avait senti sa vie basculer. Ah comme il s’était senti petit devant celui qui, d’emblée, s’était imposé comme son mentor. Mais, en même temps, son visiteur avait si bien su le mettre tout de suite à l’aise :
– C’est moi, Benoît. C’est moi que tu attendais depuis longtemps. Tutoyons-nous, ce sera plus commode.
– Bien, Be… Benoît ! Moi je suis…
– Mais je sais qui tu es, je te connais depuis longtemps. J’ai une mission pour toi.
– Pour moi ?
– Oui. J’ai placé en toi beaucoup d’espoir. Tu es capable d’accomplir de grandes choses.
– Si vous le… Enfin, je veux dire… si tu… le dis, ça doit être vrai…
– Le monde va mal. Il est plein de désaxés comme ton psy. Il faut le purifier. Et en mémoire de Jeanne la Pucelle, c’est ta ville, Orléans, qui est la mieux placée pour offrir les victimes du sacrifice qui sauveront l’Humanité.
– Tu veux dire qu’il va falloir, euh…
– Le terme qui convient est « immoler ». Oui, il va falloir. Et ce sera ça, ta mission. Car tu es le seul habitant d’Orléans à maîtriser parfaitement la force des nombres. C’est donc toi que j’ai choisi pour prendre le relais du Justicier d’Utoya. Mais toi, ils ne t’arrêteront pas comme Anders, car tu vas me promettre de suivre scrupuleusement mes instructions.
***
Soixante jours déjà se sont écoulés depuis cette première rencontre…
Le réveil (comme la montre-bracelet) affiche maintenant 23 h 28. La somme des quatre chiffres donne quinze. Logiquement, son visiteur ne devrait donc plus tarder…
Comme pour répondre à son désir, une chevelure chenue sort de l’ombre et le visage familier de son oracle s’impose à lui.
–Tu m’attendais, n’est-ce pas ?
– En effet.
– Eh bien les temps sont venus. À la fin de ce mois, je serai officiellement à la retraite. Il est grand temps, pour toi, de passer à l’exécution de ta mission…
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