HISTOIRES COURTES - Une nuit ordinaire

Marion et Edgard  (1/2)

Publié le 07/07/2016
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Par Élodie Torrente

Marion marche vite dans les rues de Paris. À la traîne, Edgard, blond, un mètre soixante-quinze, yeux noisette, fossettes craquantes, rencontré six heures plus tôt. Marion ne l’attend pas. Elle le connaît à peine. Elle peste contre elle-même. Pourquoi est-ce que rien ne se passe jamais comme il faut ? Elle appréhende ce retour dans cet endroit sans âme quitté il y a trois mois. Ce moment, elle le voulait pour oublier. Raté.

Edgard avance cinq mètres derrière. Il se demande s’il va la suivre jusqu’au bout. Après tout, cette fille, il s’en fout. Il aime bien ses fesses et les voir se dodeliner, ça vaut le détour. Mais cette histoire ! Pour rien. Heureusement, il a conservé l’objet du délit. Elle avance vite. Il peine. Dur de ne pas glisser sur la chaussée mouillée.

Dans le même quartier, Marc emprunte la rue qui longe l’aile de son service. Pour cause de travaux, il doit contourner le long bâtiment. Ça prend cinq minutes de plus. Il tire sur sa cigarette. Repense à la jolie Emma. Elle figure dans le planning des internes de ce soir ; présage d’une soirée agréable. Sa femme surgit dans son esprit. Et leur dernière crise à propos d’une casserole. Pathétique. Se détendre avec la belle interne, douce perspective. Marc accélère.

Emma enfile sa blouse et ses chaussons. Elle relève ses cheveux en chignon. Une mèche glisse sur son front. Elle espère Sybille, de garde, à ses côtés. En ce moment, elle a du mal à supporter certains gars du service. Pour assurer la nuit et ses aléas, François ou Nabil conviendraient. Marc à la rigueur. Elle le soupçonne d’avoir des vues sur elle. À surveiller. Elle referme son casier, passe devant le grand miroir. Elle aime bien sa silhouette.

Marion s’est arrêtée à cinquante mètres de l’entrée. Elle tremble. Les batteries de tests, les essais infructueux, tout lui revient en mémoire. Elle ne peut plus faire un pas. Pourtant, elle n’a pas le choix. Aucune erreur lui est permise. Ils ont été formels. Rigueur et hygiène de vie indispensables pour surmonter l’obstacle. De taille. Des allergies qui lui pourrissent la vie. Elle se remet en marche, se sait en sursis. Elle sent les yeux d’Edgard dans son dos. Pourquoi la suit-il ? Elle n’a pas besoin de lui.

Edgard observe cette jolie petite brune, hésite quand elle s’arrête. Doit-il lui parler, la prendre par les épaules, la secouer ? Il se ravise. Elle a tout du hérisson. Il ralentit, stoppe, reprend sa marche quand elle se remet en mouvement. Au prochain carrefour, il hésite. Le jeu n’a-t-il pas assez duré ? Pourtant, il est à sa droite quand elle sonne pour signaler leur arrivée.

Marc entre dans le bureau des internes. Emma est avec deux infirmières. Aucune transmission à effectuer. Le début de soirée a été calme. Il ne les écoute pas vraiment. Il fixe Emma. J’aimerais bien défaire son chignon. Elle détourne la tête. Il fait semblant de s’intéresser à la conversation. Les premiers pas du premier né de l’une des deux infirmières. Tu parles si ça le fait rêver. Il espère que ça va bientôt sonner.

Emma a rejoint le staff de nuit. Elle se sert une grande tasse de ce jus noir appelé café. Fabienne et Joëlle sont dans la pièce, à bavarder. De bonnes infirmières mais la première vient d’avoir un enfant tandis que la seconde a pondu l’année d’avant. Histoires de pleurs, de couches et de tétines. Ça ne tarit pas. Quand l’une finit sa phrase, l’autre renchérit. Emma écoute distraitement. Marc tente un contact visuel. Elle se dresse. La sonnerie résonne. Adrénaline et appréhension mêlées, quelle surprise l’attend au bout du couloir aseptisé ?

Second épisode dans notre éditon du 11 juillet

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Source : Le Quotidien du médecin: 9511