Dr Chloë Ballesté, université de Barcelone : « Dans les hôpitaux espagnols, le don et la greffe sont prioritaires »

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Publié le 31/01/2025
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Le taux d’opposition au don d’organes ne dépasse pas les 15 % en Espagne. La Dr Chloé Ballesté, professeure de chirurgie à l’université de Barcelone et directrice médicale du Donation and Transplantation Institute, détaille l’organisation hospitalière qui sous-tend l’adhésion des familles.

Dr Chloé Ballesté

Dr Chloé Ballesté
Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Qu’a mis en place l’Espagne pour atteindre un faible taux d’opposition au don d’organes ?

Dr CHLOË BALLESTÉ : La tendance en Espagne a toujours été à la hausse du don d’organes. Et l’organisation diffère de la France, avec une médicalisation et une professionnalisation de l’activité. Les hôpitaux qui veulent réaliser des greffes doivent disposer d’un médecin responsable du don d’organes. L’émergence de ce rôle a été très importante : c’est l’axe autour duquel tout s’est structuré.

Les premiers médecins à endosser cette responsabilité ont été pionniers. Ils y ont consacré toute leur carrière, faisant de cette position une opportunité de parcours professionnel valorisé. La structuration nationale s’est faite du bas vers le haut, de ces professionnels de terrain vers la création d’une agence nationale. Lors de sa création il y a 40 ans, l’Organisation nationale de transplantation (ONT) a structuré un réseau de spécialistes. Au départ, l’activité attirait des néphrologues, avant une bascule en faveur des réanimateurs qui constituent aujourd’hui environ 90 % des professionnels dédiés à cette activité. L’intégration de profils d’autres disciplines, comme les infirmiers, ne remonte qu’à une dizaine d’années.

Comment cette activité est-elle valorisée ?

L’activité de don d’organes est indépendante des équipes de greffe et des services de réanimation et relève directement de la direction médicale des établissements. Les professionnels sont donc à un niveau politique au sein des hôpitaux. Dans la plupart d’entre eux, le don et la greffe sont prioritaires. Cette organisation entraîne une reconnaissance. La prise de décision et la collaboration avec d’autres médecins en sont facilitées. En France, les infirmiers de coordination sont très bien formés et font un travail incroyable, mais le rôle des médecins référents devrait être plus stratégique, d’autant qu’ils ont une plus grande capacité à mobiliser des ressources au sein de l’hôpital.

Pour un médecin espagnol, c’est une réelle opportunité que d’être responsable du don d’organes dans un hôpital

Le parcours professionnel englobe aussi une dimension de recherche, de formation, etc. Pour un médecin, endosser ce rôle est une véritable opportunité. Ce sont d’ailleurs des professionnels qui jouissent en général d’un certain charisme et d’une capacité à résoudre des problèmes. Ils ont souvent autour de 40 ans avec une expérience de l’hôpital et ont la confiance de la direction et de leurs collègues.

Quelles différences entre la France et l’Espagne sur la relation avec les familles ?

Il y a en Espagne une plus grande confiance de la population dans le système de santé. Cela s’est illustré pendant le Covid, avec un taux de vaccination plus élevé dans la péninsule ibérique. L’accès aux soins y est aussi meilleur. Ces éléments participent à un sentiment fort de réciprocité : les gens donnent parce qu’ils ont confiance et savent qu’ils seront bien pris en charge.

Aussi, ce sont les médecins qui mènent les entretiens avec les familles. Ce modèle offre une cohérence, une continuité dans la prise en charge médicale du patient neuro-lésé. La gestion d’un cas relève d’une seule catégorie de professionnels.

Le don est considéré comme un droit

Autre élément distinctif : le dialogue est plus anticipé. Le réanimateur et le coordinateur du don collaborent pour une prise de contact précoce. Cela se fait de manière très naturelle, même avant que la mort encéphalique ne soit officiellement prononcée. Face à un pronostic défavorable en soins intensifs, les prises en charge sont dirigées vers le don.

Notre perspective est différente. Le don est vu comme un droit. Ce n’est pas inscrit dans la loi, mais les médecins sont tenus de tout mettre en œuvre pour en garantir la possibilité. Ne pas permettre cette option est perçu comme une injustice par les citoyens et un échec du système par les professionnels. Cette perspective leur permet d’être proactifs. Auparavant, ils craignaient de générer de la souffrance supplémentaire chez les proches en abordant la question. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, il n’y a plus d’autocensure.

En France, les professionnels s’interrogent sur la pertinence d’utiliser le terme « mort encéphalique » qui amènerait de la confusion. Est-ce le cas en Espagne ?

Le plus important est de transmettre la mauvaise nouvelle aux familles, à savoir la mort de leur proche. Après l’annonce, on entre dans le détail et on explique ce qu’est la mort encéphalique. Le terme n’est pas au centre de la discussion. Ces problèmes de terminologie concernent surtout les professionnels.

Qu’en est-il de la formation ?

En France, les formations, pilotées par l’Agence de la biomédecine (ABM), se concentrent sur les coordinateurs. En Espagne, l’ensemble des réanimateurs, des coordinateurs, des urgentistes et les internes de ces spécialités sont formés. L’initiative vient des hôpitaux.

La formation cible aussi d’autres professions comme les journalistes, les juges ou les légistes. Les journalistes par exemple peuvent ainsi comprendre les fragilités du système et disposent de référents à interroger quand un sujet émerge. La médiatisation récente en France du cas d’un Américain qui se serait réveillé juste avant le prélèvement de ses organes a fait bondir le nombre d’inscription sur le registre des refus. Rien de tel n’est arrivé en Espagne.

Il y a par ailleurs eu en Espagne de nombreux refus judiciaires de prélèvement après un accident dans l’attente de la réalisation des autopsies. Former les juges a créé une confiance permettant les prélèvements en parallèle des autopsies.

Propos recueillis par E. B.

Source : Le Quotidien du Médecin