Huit mois après avoir fui la bande de Gaza, les plaies de la Dr Bissan Murhab sont toujours à vif. « Les informations me déclenchent des crises d’angoisse, je suis obligée de détourner le regard », confie l’anesthésiste palestinienne en désignant la télévision de son appartement du Caire, en Égypte, où elle a trouvé refuge avec son mari. À 28 ans, la médecin fraîchement diplômée a affronté l’horreur au quotidien dans l’enclave ravagée par la guerre. D’abord en poste à l’hôpital indonésien, elle est rapidement contrainte de fuir vers le Sud avec ses deux parents au gré des bombardements et des évacuations, sans jamais cesser de travailler.
Le 15 octobre 2023, elle rejoint l’hôpital des Martyrs d’Al Aqsa de Deir El Balah. Là, elle découvre un établissement dévasté. « C’était le chaos total, des blessés et des déplacés s’entassaient partout, même dans les couloirs. Il n’y avait ni médicaments, ni lits, ni machines pour les dialyses ou la stérilisation. Un jour, l’armée israélienne a bombardé les canalisations, et l’eau a été coupée pendant une semaine. C’était invivable », se souvient la coquette jeune femme aux yeux noirs d’encre. Alors qu’elle assiste en première ligne à l’effondrement du système de santé, la Dr Bissan Murhab mûrit un profond sentiment d’impuissance. « On voyait des gens mourir sans même savoir de quoi ils souffraient. Ceux qu’on réussissait à opérer succombaient ensuite aux infections. J’ai ventilé une petite fille de deux ans, mais personne ne savait qui elle était. Ses parents avaient sûrement péri sous les décombres », raconte-t-elle, la voix brisée.
J’ai compris que rester à Gaza allait me détruire sans même que je puisse aider mon peuple
Peu à peu, sa frustration se transforme en dégoût pour un métier qu’elle avait appris à aimer, poussée par sa mère médecin « qui rêvait de (la) voir suivre ses pas ». Un épisode particulièrement traumatisant a eu raison de ses derniers espoirs. Un jour, en plein bombardement, elle accompagne à l’hôpital la fille de sa voisine, âgée de douze ans, qui vomissait du sang. « En arrivant, tous les médecins étaient occupés. J’ai cherché l’endoscope mais il était hors service. Elle est morte sans qu’on sache de quoi elle était atteinte », raconte la Dr Bissan Murhab. Alors début février, elle se décide à fuir, la mort dans l’âme. « J’ai compris que rester à Gaza allait me détruire sans même que je puisse aider mon peuple. Le mieux pour moi était de sortir, d’étudier encore et de revenir plus forte après la guerre. » Avec l’aide de son mari, coincé en Égypte après avoir accompagné son père atteint d’un cancer se faire soigner quelques jours avant le 7 octobre, elle réunit les 15 000 dollars nécessaires pour payer le passeur qui la fera traverser la frontière avec ses parents.
Devenir psychiatre pour agir après la guerre
Depuis, le couple végète dans un appartement impersonnel de la grande banlieue du Caire. L’Égypte n’autorise pas les réfugiés gazaouis à travailler. « Rester à la maison m’étouffe. J’ai des accès de colère car j’ai l’impression de contempler ma vie me filer entre les doigts », lâche-t-elle, amère. Toutes les bourses qu’elle a sollicitées pour partir étudier en Europe lui ont été refusées. Marquée par les traumatismes psychologiques de ses compatriotes, elle aspire à devenir psychiatre. « Quitte à tout reprendre à zéro », dit-elle, déterminée. « À Gaza, tout le monde souffre d’anxiété, de stress post-traumatique, de dépression. Les enfants grandissent avec la violence. C’est une bombe à retardement. » Elle rêve de créer, après la guerre, un centre qui puisse offrir des soins psychiatriques gratuits « en passant par la porte de la famille, de la communauté, avant de traiter chacun individuellement ». Seul moyen selon elle de soigner « un peuple qui meurt à grande vitesse, moralement, politiquement et psychologiquement ».
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