LE QUOTIDIEN : Traditionnellement source de tensions sur le système de santé, l’été est bien installé. Êtes-vous inquiet ?
Benoît ELLEBOODE : Je suis inquiet et rassuré en même temps. Je vous explique cette conjonction de deux sentiments. À l’ARS, nous ressentons de l’inquiétude au regard de l’imprévu, des risques météorologiques franchement alarmants, qui ne cessent de nous surprendre. Et si une averse d’une grande violence perce le toit d’un Ehpad ? Nous réagirons, mais nous ne pouvons pas le prévoir.
À l’inverse, nous pouvons nous satisfaire de la bonne santé du système de santé régional, qui fonctionne mieux qu’avant. Le capacitaire en lits hospitaliers, les urgences et l’offre de premier recours : tout va mieux. Je ne suis pas pour autant naïf, et l’été sera potentiellement chaud.
Quelle est la situation aux urgences ?
L’intégralité de nos 65 services d’urgence (SU) est sous surveillance renforcée, sans distinction. Tous nous envoient au fil de l’eau leurs plannings d’été avec, le cas échéant, les trous dans la raquette identifiés. Nous scrutons l’impact sur les services, les lignes d’urgentistes mais aussi le nombre de passages qui pourraient être moins sécurisés. Tout est mouvant, prévisionnel, on cherche des médecins et des personnels jusqu’à la dernière minute ! C’est pourquoi la difficulté pour obtenir une visibilité parfaite de la situation est grande. Dans les plus petits services, il suffit qu’un urgentiste tombe malade pour que la fermeture temporaire soit envisagée. En cette fin juin, 18 SU sont considérés comme fragiles au regard de leur démographie médicale, avec un impact possible sur leur fonctionnement pendant l’été. C’est une situation à peu près équivalente à 2024.
Dans l’agglomération bordelaise, les urgences de Bagatelle (la ville compte sept services en tout) pourraient fermer du 14 juin au 14 août de 20 heures à 8 heures avec régulation par le Samu à partir de 18 heures. Mais il faut garder en tête que ces signes ne sont pas pérennes. Ils sont à date. Les tensions que l’on constate fin juin ne seront pas forcément les mêmes demain. Et la réponse aux besoins est adaptée aux flux estivaux. Par exemple, on sait que Sarlat voit sa population multipliée par deux en été : on en prend compte et on consolide.
La visibilité sur les plannings de la médecine de ville est encore plus difficile. N’est-ce pas là que le bât blesse ?
Ce n’est pas tout à fait juste. Nous avons une excellente vision des disponibilités des médecins libéraux le soir et les week-ends car la permanence des soins ambulatoire (PDSA) est organisée de façon réglementaire. Cela nous permet d’augmenter le cas échéant le nombre de lignes. Il n’y a pas de problème de ce côté-là. En journée et en semaine, ce n’est pas la même chose, car la médecine libérale n’est pas soumise à une obligation réglementaire. Cela ne l’empêche pas de s’organiser pour que tout se passe au mieux. Par exemple, Lacanau est en train de monter un centre de premier recours estival et éphémère pour traiter en journée les coups de soleil, les petits traumas de surf et les piqûres de méduse.
Tous nos personnels sont formés aux crises sanitaires et on ne manque pas de moyens
Ne faudrait-il pas obliger les médecins de ville à prévenir l’ARS de leur départ en vacances ?
Sur le papier, bien sûr, cela nous faciliterait la vie, mais sur le papier seulement. Avoir une visibilité du maillage libéral ne garantit pas une réponse. Prenons deux exemples. Dans un bassin de vie de 20 médecins libéraux, on apprend qu’une majorité part en vacances mais que les forces en présence sont suffisantes pour la période. Nous voilà rassurés. Mais dans un bassin de vie de deux médecins libéraux, on apprend que tous deux partent en vacances en même temps. On fait quoi ? On en oblige un sur deux à rester ? 20 % des médecins exercent en maison de santé et sont soumis à une forme d’obligation de réponse dans leur contrat avec l’ARS et leur CPAM. Ce n’est pas le cas de tous les autres. Attention, donc, aux solutions qui semblent simples mais qui compliquent tout. Et puis, outre les maisons de santé, il existe les centres de santé et les structures du type SOS médecins, qui nous aident bien et nous tiennent informés de leur activité.
Le service d’accès aux soins (SAS) a-t-il fait ses preuves ?
Il y a du positif et du négatif. Nous ne constatons pas d’alerte sur la régulation en amont des urgences, qui fonctionne vraiment bien pour freiner cette espèce de consumérisme médical qui accentue la pression inutilement sur les professionnels. En Nouvelle-Aquitaine, 51 % des appels se règlent par téléphone et ne nécessitent pas qu’un médecin se déplace (moyenne en 2024). À ce niveau, le SAS est une réussite.
Mais ça coince sur l’effection, ce qui peut obliger à réorienter des patients vers les urgences par défaut, même si nous ne disposons pas de données précises sur ce point. C’est ce qui peut expliquer le sentiment négatif de certains hôpitaux, qui voient arriver en journée des personnes qui relèveraient de la médecine de ville mais pour lesquels le SAS a fait chou blanc. Il y a tout de même du mieux, des solutions locales sont trouvées. À l’hôpital d’Arcachon, il existe une réponse de médecins généralistes qui se relayent pour éviter de sursolliciter leurs collèges urgentistes du service attenant. C’est la même chose au CHU de Bordeaux. C’est une aide précieuse.
L’ARS souffre-t-elle elle aussi de pénurie ?
Non, car nous savons prioriser et sommes en mesure de rappeler des agents en cas de besoin. Tous nos personnels sont formés aux crises sanitaires et on ne manque pas de moyens. Il n’y a pas de sujet, on se prépare à toute éventualité.
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