« Cela fait longtemps, dans les faits, qu’existe le Dossier médical en santé au travail (DMST). Certains textes l’évoquaient mais de manière indirecte et cet outil n’avait aucune assise légale. C’est désormais chose faite avec la loi sur les retraites de 2011. Un article de cette loi prévoit qu’un médecin du travail doit ouvrir un DMST à l’occasion de toute visite d’embauche. En parallèle, le DMST a également fait l’objet de recommandations de la Haute autorité de santé (HAS). Il obéit par ailleurs aux règles du Code de santé publique mais avec des particularismes inhérents à la place de la santé au travail dans le système de santé en général », souligne en préambule la Pr Sophie Fantoni-Quinton, professeure à l’Université Droit et Santé de Lille 2 et praticienne hospitalière au CHRU de Lille.
Cette loi sur les retraites a permis d’étoffer le contenu du DMST. « Jusque-là, il comprenait essentiellement des données médicales pures. Désormais, on se doit d’y faire figurer des données socio-administratives mais aussi, et surtout, les expositions professionnelles passées ou présentes du salarié, non seulement sur le plan qualitatif mais aussi quantitatif. Il faut également faire figurer toutes les préconisations faites par le médecin du travail », souligne la Pr Fantoni-Quinton, en précisant qu’il n’est pas le seul à pouvoir inscrire des informations dans le DMST. « Les acteurs qui l’alimentent se sont multipliés dans le cadre des nouvelles équipes pluridisciplinaires. Les infirmier-e-s en santé au travail, par exemple, peuvent compléter le dossier », souligne la Pr Sophie Fantoni-Quinton.
Désormais, tout est réuni pour que le DMST devienne un véritable outil de traçabilité et de prévention. « Jusque-là, cette question de la traçabilité n’était écrite nulle part. Elle dépendait des usages et des pratiques de chacun. Désormais, c’est régi par des textes consensuels et des recommandations de bonnes pratiques. Cela devrait permettre d’évoluer vers une plus grande cohérence et homogénéité des dossiers », souligne la Pr Fantoni-Quinton, en insistant sur l’importance de cette traçabilité. « Les carrières professionnelles sont aujourd’hui de plus en plus segmentées. Les salariés ne restent plus à vie dans la même entreprise. A condition bien sûr que le salarié l’accepte, il pourra avoir un DMST qui va le suivre durant toute sa vie professionnelle. Cela fait du dossier un bon outil de traçabilité mais aussi de prévention. S’il est rempli de manière correcte, il doit pouvoir permettre au médecin du travail de suivre le parcours du salarié, de le conseiller et de faire davantage de prévention primaire, secondaire et tertiaire », souligne la Pr Fantoni-Quinton.
Il convient de préciser que nul n’est propriétaire du DMST, ni le médecin du travail, ni le salarié. « Il y a une différence importante avec le dossier médical personnel (DMP) dont l’ouverture est à l’initiative du patient. Ce dernier peut aussi s’opposer à ce que certaines informations figurent dans son DMP. Il peut même enlever des informations contenues dans le dossier sans que cela ne laisse de trace. Il en va différemment du DMST. Le salarié n’a pas la maîtrise de ce qu’on y inscrit. En revanche, il garde celle de la transmission des données. Si par exemple, le salarié change d’entreprise, il doit donner son aval pour que le DMST soit transmis au médecin du travail suivant. Aucune transmission ne peut se faire sans le consentement du salarié », indique la Pr Fantoni-Quinton, en ajoutant que le généraliste traitant du patient ne peut consulter le DMST qu’avec son accord.
Sur le papier, tout est réuni pour que le DMST prenne aujourd’hui une tout autre dimension. « Mais dans la pratique, on constate encore un certain nombre de réticences ou de blocages au niveau notamment de la complétude des dossiers. Certains DMST restent encore insuffisamment remplis, parfois en raison de la réticence des médecins, parfois à cause de l’organisation ou de l’informatisation. Avec le caractère pluridisciplinaire des nouvelles équipes, les questions du partage et de la transmission des informations figurant dans le DMST se sont aussi complexifiées, souligne la Pr Fantoni-Quinton. La dématérialisation du DMST doit être par ailleurs réfléchie au regard des problématiques de confidentialité, de mobilité des salariés et de conservation des données, mais aussi parce que le DMST est le support de la veille sanitaire et peut se concevoir comme un outil de gestion de prévention ».
D’après un entretien avec la Pr Sophie Fantoni-Quinton, professeure à l’Université Droit et Santé de Lille 2 et praticienne hospitalière au CHRU de Lille.
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