LE QUOTIDIEN : Vous proposez de construire la « Sécurité sociale du XXIe siècle ». À quoi ressemblerait-elle ?
Fabien ROUSSEL : La pandémie a mis en évidence à quel point la Sécurité sociale est indispensable pour toucher l'ensemble de la population, approcher l’universalité des questions de la santé. Elle nous a aussi montré combien notre système de santé souffre d’une politique visant à adapter les besoins aux objectifs financiers. Avec l’Ondam, depuis 1997, nous sommes passés du principe « selon ses besoins » d’Ambroise Croizat et du Conseil national de la résistance à « selon ses moyens » des gouvernements qui se sont succédé. Le baromètre de la pauvreté Ipsos/Secours populaire témoigne de l’aggravation des inégalités sociales et territoriales de santé.
Aussi, la première priorité est de redonner à la Sécurité sociale une gouvernance démocratique et les moyens d’une politique remettant en question les restructurations hospitalières et les déserts médicaux. Construire la Sécu du XXIe siècle, c’est remettre en cause les exonérations de cotisations sociales, étendre les prélèvements à tous les revenus financiers, moduler la cotisation des entreprises en fonction de leur contribution à l’emploi, à l’égalité salariale femmes/hommes et au respect de l’environnement.
Êtes-vous favorable à la « grande Sécu » ?
Devant cette aspiration au 100 % Sécu, certains au gouvernement proposent la « grande Sécu ». C’est un mécanisme qui pourrait ressembler du point de vue sémantique à notre proposition mais, en fait, c’est le contraire, c’est l’introduction du concept de panier de soins et un 100 % fiscal. Les patients ne seraient pris en charge que pour une partie de leurs soins, toujours plus réduits. C’est de fait l’abandon de l’universalité de la Sécurité sociale avec une individualisation complète des charges. C’est la possibilité de profits gigantesques pour le capital.
Notre proposition du 100 % Sécu vise à sortir de cette ornière. Un seul organisme – la Sécurité sociale via sa branche d’Assurance-maladie – couvrira l’ensemble des besoins et des dépenses, de la naissance à la mort. Tout ce qui est prescrit par les professionnels de santé dans le cadre réglementaire sera intégralement pris en charge avec un mécanisme de tiers payant. Cette évolution pourrait se faire par étapes en commençant par les priorités médicales et sociales définies ensemble. À terme, il n’y aura plus besoin d’organismes complémentaires.
Pour redresser l’hôpital, vous promettez la création de 100 000 emplois. Comment comptez-vous faire ?
Il faut modifier les logiques en œuvre depuis au moins deux décennies, notamment avec l’obligation faite aux hôpitaux d’emprunter aux banques, les restructurations imposées par la loi HPST, l’Ondam et le financement basé sur la tarification à l'activité. Nous voulons mettre fin à cette ineptie du « tout T2A » qui a introduit une démarche entrepreneuriale et marchande à l’hôpital. Nous proposons à la place un budget de fonctionnement ainsi que le financement intégral et immédiat des hôpitaux.
Mais il faut aussi améliorer les conditions de travail car les seules embauches de 100 000 personnels hospitaliers ne suffiront pas devant la fuite des soignants face à leurs souffrances. Il y a besoin de formation adéquate et de reconnaissance. En cela, le « Ségur » est loin d’avoir répondu à leurs attentes. Il faut enfin sortir des comptes des hôpitaux les 30 milliards de dettes qui les plombent, en imposant leur reprise dans le cadre d’un financement par la Banque centrale européenne.
Quelles leçons tirez-vous de l’affaire Orpea ?
Le Président Macron s’était engagé à proposer une loi Grand âge, on l’attend toujours. L’affaire Orpea était connue bien avant la sortie du livre « Les Fossoyeurs » et touche tout le secteur privé à but lucratif. Nous proposons de créer une prestation universelle d’autonomie, sans barrière d’âge, sur les périmètres actuels de la prestation de compensation du handicap (PCH) et de l’APA qu’il faut revaloriser. Dans le même temps, je propose de créer un service public du grand âge avec la mise sous tutelle immédiate des Ehpad privés. Un service national et territorialisé de l’aide à l’autonomie garantirait l’égalité d’accès des personnes en perte d’autonomie à une prise en charge à domicile.
Mais cela ne saurait suffire, eu égard au rythme du vieillissement de la population d’ici à 2030. D’où la nécessité de recruter 300 000 emplois en EHPAD en trois ans et 100 000 aides à domicile, revaloriser le salaire des personnels ou encore fixer un ratio d’encadrement strict d’un soignant pour un résident.
Quelles serait votre stratégie pour combattre les déserts médicaux ?
Les GHT ont aggravé les déserts médicaux en concentrant les moyens et en incitant les médecins à s’installer près de telles structures. Je propose de doter chaque bassin de vie d’un hôpital, d’une maternité et d’au moins un centre de santé de proximité. Penser qu’on réglera le problème par le virage ambulatoire est une illusion si on ne met pas un terme aux 12 millions de Français qui vivent dans la pauvreté, si on ne met pas fin aux déserts médicaux.
Cela passe par plus de moyens aux universités et aux hôpitaux publics pour former 12 000 médecins/an. Il faut donc en parallèle redimensionner les centres de formation des soignants non médicaux dont on a besoin en plus grand nombre. Il y a urgence à décréter un moratoire sur toutes les fermetures et fusions des hôpitaux, en travaillant résolument à leur articulation avec médecine de ville et en y incluant un développement des centres de santé, plus à même par le salariat à assurer une implantation dans les zones désertifiées.
Vous êtes favorable au conventionnement sélectif et au retour des gardes obligatoires. N'est-ce pas contreproductif ?
Nous sommes en effet favorables à une obligation de garde pour les non hospitaliers (généralistes mais aussi pour les chirurgiens libéraux et les anesthésistes et réanimateurs privés), comme à un conventionnement sélectif afin de lutter contre les inégalités territoriales de santé. Il y a une colère face à l’inégalité d’accès territoriale, voire aussi sociale, à l’accès à un médecin. Cela ne peut plus durer.
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