LE QUOTIDIEN : Au terme de ce quinquennat et après deux ans de pandémie, quel est votre diagnostic sur les maux du système de santé français ?
MARINE LE PEN : Le courage et le dévouement remarquables des médecins et des soignants ont longtemps caché la situation dramatique de notre système de santé, laissant penser aux gouvernants qu’on pouvait se reposer sur les lauriers du meilleur système de santé du monde, ce qui n’est plus le cas depuis des années.
La crise sanitaire a fait exploser la vérité aux yeux de tous! Le système de santé souffre d’abord d’une vision comptable, qui consiste à faire de la santé un bien comme un autre, soumis à des considérations de rentabilité. Il souffre ensuite de la guerre idéologique entre le privé et le public. Il subit enfin l’absence totale de stratégie d’aménagement du territoire depuis 30 ans. L’État a laissé faire la main invisible du marché, qui a créé des mégapoles concentrées et des déserts. Il existe une vraie pression ultralibérale sur notre système de santé et de protection sociale. Tout cela exige un autre choix de société.
Sur la gestion de crise sanitaire, qu’auriez-vous fait différemment ?
Le gouvernement a géré en permanence cette crise à contretemps. C’est encore le cas aujourd’hui, en imposant avec le passe vaccinal des restrictions dures et attentatoires aux libertés parce qu’elles sont à la fois disproportionnées et inefficaces pour le but poursuivi.
Pourtant, une étude du Conseil d’analyse économique montre que le passe sanitaire sauvé près de 4000 vies en France et a permis d’éviter des milliers d’hospitalisations...
Je ne crois absolument pas à cette analyse. Comment calcule-t-on le nombre de morts qui auraient dû exister ? Je constate surtout que la crise sanitaire représente 300 milliards d’euros de déficits cumulés, et qu’elle aurait pu coûter beaucoup moins.
Au-delà du premier confinement, que j’ai accepté, les mesures prises – fermeture des commerces de proximité, couvre-feu, etc. – n’avaient aucune efficacité sanitaire. Le choix du « tout vaccin » a aussi été une erreur, de même que la méthode. Il aurait fallu convaincre et non pas les contraindre, en s’appuyant sur les seules personnes de confiance, à savoir les médecins de ville, qu’on a au contraire écartés, bâillonnés. Il aurait fallu se concentrer sur les personnes à risques, les personnes âgées et avec des comorbidités. Au contraire, en généralisant les restrictions, on en est arrivé à un grand niveau de violence et à une division de la société, qui signe un échec total de l’exécutif.
Avec ce discours, ne craignez-vous pas d’être rangée dans le camp des antivax ?
Non, je ne suis pas anti-vaccins. Je l’ai dit publiquement, je suis moi-même vaccinée. Le vaccin a incontestablement une efficacité pour diminuer le taux de cas graves, ce qui est un grand bénéfice, mais cela ne suffit pas à imposer la vaccination obligatoire. Or, c’est bien cela qui est en jeu : aujourd’hui on ne peut pas vivre librement si on n’est pas vacciné, c’est le vaccin ou la mort sociale !
Par ailleurs, beaucoup de décisions utiles n’ont pas été prises comme, par exemple, l’analyse généralisée des eaux usées pour détecter les clusters. Enfin, surtout, toute la politique sanitaire a été décidée en raison des carences de l’hôpital.
Vous promettez d’injecter 20 milliards dans le système de santé. Où les trouvez-vous ?
Je parle de 4 milliards par an sur la santé, soit 20 milliards sur le quinquennat. On ne va pas créer de nouvelles taxes. Nous avons évalué 15 milliards de recettes supplémentaires sur les fraudes, grâce à la mise en place d’un ministère entièrement dédié à cette lutte. J’estime que les Français sont volés comme au coin d’un bois et que le gouvernement ne fait rien. La carte Vitale biométrique pour tous, avec moi, ce sera sous deux mois. Je comptabilise aussi 18 milliards d’euros d’économies sur l’immigration.
Mon objectif sur la santé, c’est de réserver 10 milliards pour les revalorisations salariales et les embauches nécessaires et 10 milliards pour les investissements, avec par exemple avec un plan « IRM/scanners ».
À l’hôpital justement, quelles seront vos priorités pour rétablir la confiance ?
Il faut à la fois des recrutements en masse de soignants et des revalorisations. Je ferai en sorte que les infirmières soient payées au niveau de la moyenne européenne, ce qui veut dire 10% de plus sur leur salaire. D’autres personnels devront être augmentés, notamment dans les Ehpad ou ceux qui ont été oubliés par le Ségur de la santé.
Nous allons ensuite fixer un plafond de 10 % de postes administratifs dans les hôpitaux pour prioriser les recrutements dans le soin. Le premier désert médical en France, c’est l’hôpital : 30% des postes, tous métiers confondus, n’y sont pas pourvus! Ces postes qui manquent créent une situation d’immense souffrance au travail, qui accélère la déperdition de soignants à tous les étages. Cette pression psychologique pousse les personnels à l’abandon.
Sur le financement et la gouvernance des hôpitaux, que proposez-vous ?
La tarification à l’activité a placé l’hôpital dans une ornière comptable, où l’objectif n’est plus la politique de soin. Il faut arrêter la T2A et revenir à une forme de budget global afin de garantir la qualité.
En matière de gouvernance, je souhaite une direction bicéphale de l’hôpital avec un administratif, chargé du budget, et un médecin, qui s’occupera de la politique de santé. Cette double direction est essentielle pour retrouver du sens. Je veux aussi donner davantage de place et d’autonomie aux médecins chefs de service. Je fais confiance aux experts, non pas ceux qu’on a trop vus sur les plateaux télé, mais ceux qui ont de l’expérience. L’hôpital étouffe sous la bureaucratie.
En matière de carte hospitalière, faut-il privilégier la proximité ou la sécurité ?
Je suis contre la métropolisation et la concentration, et c’est valable dans le domaine de la santé. Je défends la mise en place de structures intermédiaires et je propose un moratoire complet sur la fermeture des lits à l’hôpital, puisque 100 000 lits ont été fermés depuis 20 ans. Il faut redéfinir la carte hospitalière, comme d’ailleurs la carte judiciaire. Au passage, je supprimerai les agences régionales de santé, véritables gouffres, et bras armés de cette vision managériale et budgétaire que je conteste dans la santé.
Comment avez-vous réagi aux révélations sur la maltraitance institutionnelle dans certains Ehpad privés ?
J’ai été horrifiée comme beaucoup de Français. Le respect que l’on doit à la vulnérabilité rend de tels agissements condamnables. Mais l’État doit prendre ses responsabilités maintenant : cela veut dire un médecin coordonnateur par Ehpad, une infirmière 24h/24, peut-être un pharmacien coordinateur également. Dans certains établissements, on ne trouve même pas de médecin pour signer les déclarations de décès. Il faut des ratios, un nombre minimum de personnels par nombre de résidents.
Parallèlement, je veux développer le maintien à domicile, ce qui suppose de structurer une vraie filière de gérontologie et de soins palliatifs. J’ai aussi des propositions fortes pour les proches aidants, avec la multiplication par quatre des congés, qui seront portés de trois à 12 mois, et une compensation financière adaptée au salaire perdu, donc beaucoup plus intéressante.
En médecine de ville, vous promettez « d’éradiquer » les déserts médicaux. Comment faire pour que cet objectif ne reste pas un slogan?
Ce n’est pas moi qui ai laissé le numerus clausus nous plonger dans la situation de pénurie médicale. Ce système consistant à ne pas former assez de médecins français pour chercher des praticiens étrangers à bas coûts, en privant au passage les pays d’origine de cette offre de santé, est une absurdité totale. Il faut donc ouvrir les vannes.
Mon projet prévoit ensuite une politique de rééquilibrage des territoires. On ne va pas demander à des médecins de s’installer dans des secteurs sans école, sans transport et sans hôpital de proximité. Donc, il faut recréer de l’activité et de la vie dans les petites villes et les villes moyennes.
À rebours des aides bureaucratiques existantes, je veux aussi moduler la rémunération de la consultation selon le lieu d’installation. Un médecin qui choisit d’exercer dans la Creuse sera mieux payé qu’un médecin qui s’installe dans une grande ville où il y a beaucoup de confrères. Il faudra bien sûr réfléchir au juste prix de la consultation de référence mais ce n’est pas à moi de fixer un tarif.
Enfin, je veux un plan massif dans la connectivité et la télémédecine, qui permettra de faire monter en gamme du personnel soignant. Une infirmière en pratique avancée pourrait, dans une maison de santé connectée, faire la radio qui sera analysée par un autre médecin. Une des raisons de la désertification médicale, au-delà de la charge de travail, c’est l’isolement. Le modèle du médecin seul dans son cabinet a vocation à disparaître. Il faut faciliter les maisons de santé, les regroupements et l’interconnexion pour lever cet obstacle à l’installation dans les zones sous-denses.
Faut-il remettre en question la liberté d’installation, comme le réclament nombre d’élus ruraux ?
Non, mais je pense qu’on peut offrir aux étudiants en médecine un choix comme dans certaines écoles d’ingénieurs : soit ils sont payés par l’État pendant leurs études et ils doivent donner ensuite quelques années dans des territoires fragiles, dix ans par exemple ; soit ils prennent en charge leurs études et restent libres de s’installer où ils veulent. Ce serait un accord passé dès le départ.
Je voudrais aussi ouvrir une réflexion sur l’origine géographique des étudiants. Ceux qui sont nés et ont vécu à la campagne ont davantage de facilité à s’y installer ensuite. Sans doute faut-il réfléchir à la diversification accrue du recrutement des futurs médecins.
Estimez-vous que la liberté de prescription est entravée ?
Je crois fondamentalement à la liberté de prescription mais aussi de parole des médecins. Ils ont fait plus de dix ans d’études, ce n’est pas pour rien. Or, la crise sanitaire a été un prétexte pour porter parfois atteinte à leur autonomie de décision. C’est une ingérence inédite. Les médecins ont bien sûr une responsabilité professionnelle mais ils doivent conserver leur liberté de prescription et d’expression sur les traitements médicaux, c’est pourquoi l’idée même de poursuivre en justice des généralistes ou des spécialistes pour des propos tenus me semble problématique sur le plan des libertés publiques.
Faut-il stopper les délégations de tâches ou accélérer dans cette voie ?
Je crois qu’on peut aller plus loin. Les infirmières par exemple ont le sentiment qu’elles n’ont pas beaucoup de débouchés. Il y a un fossé énorme avec le métier de médecin. Donc, nous devons leur offrir la possibilité d’accéder à des actes ou des pratiques avancées utiles. Nous ne sommes plus dans la situation d’il y a 30 ans lorsque les médecins craignaient de perdre leur précarré et refusaient toute évolution ! Il faut au contraire accroître le temps médical, dans un contexte où des départs massifs à la retraite vont intervenir.
Que pensez-vous du scénario de « Grande Sécu » ?
Je suis contre toute forme d’étatisation de la Sécurité sociale. Les Français eux-mêmes sont très attachés au modèle mutualiste. Pourquoi détruire un système qui, au passage, emploie des dizaines de milliers de personnes ? Bien sûr, il faut combattre les dérives, les coûts excessifs de publicité et certains frais de gestion des complémentaires.
À l’époque, le FN proposait de supprimer l’aide médicale d’État. Est-ce encore votre position?
Je supprimerai l’AME pour les adultes dans sa forme actuelle pour la remplacer par une aide d’urgence ou en cas de risque d’épidémies, mais je la conserverai pour les mineurs.
Historiquement, les médecins votaient très peu pour l’extrême droite. Comment espérez-vous les convaincre ?
Je pense avoir le projet le plus sérieux et surtout le plus attaché à leur indépendance. J’ai été avocate pendant des années et il ne m’a pas échappé que l’ensemble des politiques impulsées par l’Union européenne visent à supprimer les indépendants, dont les médecins libéraux font partie. Souvenez-vous du projet de réforme des retraites de Macron : on supprimait les caisses professionnelles pour mettre tout le monde dans le même sac... Or, l’ADN de la France, c’est la diversité de ces indépendants. Et en même temps, j’ai une vision sociale assumée car la santé n’est pas un bien comme un autre et elle ne doit pas être gérée comme un quelconque secteur économique.
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