C’est sans doute le projet le plus fantasmatique de l’histoire de la médecine. Fruit des innovations médicale, électronique et aéronautique, le cœur bio-prothétique Carmat, « le cœur artificiel total le plus avancé au monde » (selon ses promoteurs), conjugue autonomie, miniaturisation, adaptation à la condition et au rythme de vie du patient, reproduction des battements, combinaison avec des membranes organiques bovines pour limiter le risque de rejet. Il ne lui manque que le marquage CE pour partir à la conquête d’un marché qui pourrait concerner jusqu’à vingt millions d’insuffisants cardiaques en phase terminale. Avec une échéance rapprochée : « Pas dans dix ans, assure le président de Carmat, mais entre deux et cinq ans. » Des années qui s’annoncent cruciales.
L’aventure a commencé il y a un quart de siècle avec la rencontre du Pr Alain Carpentier, inventeur des valves cardiaques qui portent son nom, commercialisées dans le monde entier par la société américaine Edwards, et de l’industriel Jean-Luc Lagardère, patron de Matra. Après quinze ans de recherches menées dans le plus grand secret, une start-up voit le jour en 2008, portée financièrement par Matra Défense (filiale d’EADS), la Fondation Carpentier et la société Truffle, montée par le Dr Philippe Pouletty, médecin devenu capital-risqueur.
Entrée en bourse fracassante
En 2010, pour lever des fonds, le cœur Carmat fait une entrée fracassante en bourse. 9 000 petits porteurs se partagent 37 % du capital. C’est le jackpot quand l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) donne son feu vert pour lancer l’essai clinique, après des implantations chez l’animal : introduite au prix de 18,75 euros, l’action atteint 180 euros, son cours record.
Le premier cœur Carmat est implanté en décembre 2013 par les Prs Alain Carpentier et Christian Latremouille, à HEGP (Paris). L’événement fait l’objet d’une intense médiatisation. Marisol Touraine réunit la presse. Le président Hollande y va de son cocorico pour saluer « une action exceptionnelle au service du progrès humain ». Mais l’essai est suspendu après le décès du patient, qui aura tenu 74 jours, au-delà des prévisions. Huit mois plus tard, il reprend, avec un patient implanté au CHU de Nantes, par l’équipe du Pr Daniel Duveau. Les dernières nouvelles – c’était fin octobre – sont bonnes : le patient a retrouvé son autonomie, peut se déplacer seul et faire du vélo d’appartement.
Un communiqué de Carmat, en juillet, avait annoncé l’autorisation de recruter quatre autres patients. Mais cette fois, aucune information ne filtre. Chez Carmat, on se prévaut en effet des règles fixées par l’Autorité des marchés financiers pour ne rien communiquer avant la fin de l’essai sur ces quatre patients. Le maintien du cours boursier exige actuellement le silence, explique-t-on, alors que l’action est toujours orientée à la baisse, passée de 100 euros en février à 70 euros aujourd’hui. Or, souligne le Pr Carpentier, la R&D se poursuit (autonomie des batteries, réduction des dimensions et du volume sonore), qui nécessite des financements nouveaux, de même que la réalisation des essais et, dans la foulée, bien sûr, le lancement de la phase industrielle.
Après avoir bénéficié d’une subvention de 6,7 millions d’euros versés par BPI France (banque publique d’investissements), Carmat compte maintenant sur la bourse pour se financer en gardant son pavillon français. Sinon, la suite de l’aventure s’écrira sans doute aux États-Unis, comme pour les valves Carpentier, ou pour tant de biotechs françaises (DBV technologies, Adocia, Innate Pharma, Genfit, Transgene, Median technologies…) qui ont été contraintes de s’ouvrir à des fonds de pension américains.
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